Abbaye
royale de La Bénisson-Dieu
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Mise à jour |
FRESQUE DEGAGEE AU COURS
DE L'HIVER 1997
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DESCRIPTIF DE LA FRESQUE DEGAGEE AU COURS DE L'HIVER 1997 DANS L'EGLISE ABBATIALE de LA BENISSON DIEU
Depuis fort longtemps, l'existence d'une peinture murale sur le mur de séparation
entre la première travée du collatéral droit et la Chapelle
de Nérestang était connue car quelques vestiges du dessin original
avaient subsisté, bravant à travers les siècles les injures
du temps et pis encore,la lèpre causée par une humidité
excessive qui sévît hélas durant de trop nombreuses années
du fait de l'état de total abandon dans lequel avait été
maintenu le peu qui restait de ce splendide Monastère. Ces vestiges
de dessins se sont d'ailleurs affirmés et sont devenus plus nombreux
et plus visibles suite aux travaux d'assainissement entrepris au cours de
l'hiver 1990/91 et qui permîrent en outre la mise à jour de deux
pierres tombales dont il sera question à la fin de ce texte. Sur le
même mur où a été peinte la fresque on a appuyé,
fort malencontreusement d'ailleurs, une très belle dalle tumulaire
qui recouvrît autrefois les restes terrestres du Chevalier Humbert de
Lespinasse, qui décéda le 3 ième jour des calendes d'
Avril, en l' An de Grâce 1300.
Si certains ouvrages historiques ont traité assez substantiellement
de cette plate pierre plutôt monumentale : elle mesure en effet 2 mètres
36 de hauteur sur 1 mètre 20 de large et doit peser au moins 2 tonnes,
les historiens sont curieusement restés très laconiques à
l' endroit de la fresque! II est vrai qu'elle était si peu visible
à leur époque qu'ils ont quelques excuses!
II est bon de rappeler à ce propos que Monsieur joseph Déchelette
ne fît pas exception à cette règle dans l'ouvrage qu'il
écrivît conjointement avec Monsieur Eleuthère Brasard,
et édité en 1900 à Montbrison et qu'il intitula :
" Les peintures murales du Moyen-Age et de la Renaissance en FOREZ "
que l' on peut consulter à la Médiathèque de Roanne,
dans le Fond Local, où il figure sous 1a référence 4014F.
II n'hésita d'ailleurs pas à dater cette fresque du XV ième
siècle, encore qu'à son époque il n'en vît certes
pas grand chose!
II déclarait en effet brièvement dans le chapître de son
livre qui la mentionnait, après avoir daté de ce même
XV ième siècle d'autres vestiges de peintures régionales
:
".....Tels sont encore les restes d'un crucifiement peint dans la première
travée du collatéral droit de l' Eglise de La Bénisson
Dieu, où l'on distingue seulement !a figure du Christ lié à
une Croix très mince, avec, à sa gauche, saint Jean tenant un
livre..... "
Plutôt laconique et certainement hâtif pour une datation aussi
péremptoire. En prêtant un peu plus attention il lui aurait été
certainement possible d'en découvrir davantage, à preuve le
dessin ci-joint qu'un amateur réalisa le 15 Août 1992, soit près
d'un siècle plus tard et cinq ans et demi avant que la fresque ne soit
dégagée, et sur lequel on retrouve bien les 5 personnages figurant
sur le tableau ainsi que plusieurs des accessoires qui y sont représentés!
A l'époque il est vrai, le décor de fond était totalement
invisible. Pour permettre une comparaison,un autre dessin représentant
la fresque dans son état actuel, a aussi été joint.
Quant à la dalle tombale d'Humbert de Lespinasse, nul ne sait exactement
d'où elle provient ni du lieu où elle se trouvait auparavant,
bien que le plan dressé par Monsieur Donjon, Instituteur à La
Bénisson Dieu à la fin du siècle dernier, la montre à
plat,à même le sol dans la première encoignure Sud du
collatéral droit. Vraisemblablement elle fût enlevée pour
loger à sa place quand on le remonta du caveau immergé de la
Chapelle de Nérestang, le sarcophage vide de Dame Alice de Suilly,
épouse de Guy III, Comte de Forez, et qui fût longtemps exposé
à cet endroit, avant d'être transféré dans ta travée
en face, dans le collatéral gauche où se trouve le musée
lapidaire.
Quoi qu'il en soit, ceux qui dressèrent la plate pierre contre 1e mur
où elle se trouve actuellement ne se préoccupèrent nullement
qu'ils étaient en train d'anéantir irrémédiablement
une bonne partie de la fresque unique et précieuse qui se trouvait
juste derrière!Leur seule excuse est qu' ils n' eûrent certainement
jamais conscience du grave dommage qu' ils venaient de commettre au regard
de la postérité!
Pour revenir maintenant à notre sujet, il convient de faire déjà
deux remarques :
1-: La première pour s'étonner que le Monastère ait eu
la chance d'abriter dans ses murs un artiste doué d'un tel talent qui
dépassait largement le cadre local, faisant preuve au demeurant d'
une parfaite maîtrise de son art qui montre une longue pratique et des
notions étendues à la fois historiques et artistiques! Et, pour
ces dernières, une connaissance approfondie des Maîtres Flamands
et Italiens.
2-: La seconde pour trouver plutôt curieux qu'un Abbé d'un Monastère
Cistercien dont la Règle d' austérité n'est un secret
pour personne, ait pu permettre à un peintre, si talentueux fût-i{,
une telle entorse à la Règle en le laissant décorer l'intérieur
même du Sanctuaire que les bâtisseurs n'avaient pas osé
orner d'un seul chapiteau sculpté?
Le premier qui se soit permis cette audace fût Pierre de La Fin, Seigneur
issu d'une noble famille bourguignonne et qui fût Abbé de La
Bénisson Dieu de 1460 à 1504. Durant cette période,il
entreprît à ses frais d'importants travaux de rénovation
dont (e toit actuel de l'Eglise,en tuiles vernissées et la construction
du beffroi. Pourtant la fresque paraît antérieure à son
ministère et le blason
qui y figure et qui sera étudié plus loin,bien que quasi indéchiffrable
actuellement,ne semble pourtant pas être celui de la Maison de ce grand
Abbé qui inaugura la tenue en commende de l'Abbaye pour prendre en
même temps la gouverne de l'Abbaye de Pontigny, après avoir été
un temps l'Abbé régulier de La Bénisson Dieu où
il débuta son noviciat.
Mais revenons à nouveau et pour l'instant à la fresque. Pour
les besoins de l'étude entreprise, nous la diviserons en deux parties
qui sont de toute manière bien distinctes l'une de l'autre.
I-: La partie supérieure représente une "crucifixion".
Elle a été présentée par le peintre en trois tableaux.
II a voulu figurer un triptyque fixe dont chacun des volets a été
délimité par un encadrement fait de minces colonnettes chapeautées
de toits très pointus qui ne vont pas sans rappeler des "minarets".
Le fût des quatre colonnettes du devant du tableau est décoré
d'une spirale montante s'enroulant de gauche à droite. Quant aux 6
colonnettes à l'arrière-plan dont on ne voit que la partie supérieure,
elles paraissent reliées entre elles par des arrondis en forme de dômes,le
tout représentant sans doute une vue plongeante sur la ville sainte
de Jérusalem depuis le haut du Mont Golgotha. L'aspect oriental du
décor ne peut échapper et prouve une connaissance des lieux
de la part du peintre.
Le Psautier de Saint Louis,terminé vers 1260 et qui s'inspire des décorations
de la Sainte Chapelle de Paris, contient des enluminures illustrant en plusieurs
endroits de semblables colonnettes surmontées des mêmes toits
très pointus et de forme résolument gothique.
Cependant, le décor de fond des volets latéraux demeure plus
énigmatique en raison de l' état actuel de la fresque. La première
impression est qu'une foule de têtes auréolées se presse
derrière chaque personnage représenté et qui seront décrits
plus loin...
II paraît pourtant plus vraisemblable que ces arrondis figurtent plutôt
l'entrée obscure des marchés couverts du Moyen-Orient, plus
connus sous le nom de "Souk". On voit en effet l' épaisseur
du mur d'enceinte à sa jointure avec ces voûtes.
Le triptyque est entouré d'une bordure composée de rectangles
peints alternativement en rouge et en blanc. Une finition en "trompe
-l'oeil" semble avoir été rajoutée tardivement car
on peut relever des erreurs dans la répétition du motif de la
bordure d'encadrement, preuves de l'intervention d'une main moins soigneuse
que celle de l'artiste...
Ce qui paraît étrange, c'est que cette bordure représente
un cadre non fermé qui part en effet du bas gauche de la fresque vers
la droite, remonte vers le haut à angle droit, tourne à nouveau
à gauche à angle droit puis redescend de même en passant
devant le point de départ sans le toucher, laissant même un assez
large espace entre les deux tracés de la même bande. La bordure
se prolonge plus loin vers le bas...
Cette bande à carreaux alternés, tantôt rouges tantôt
blancs, pourrait symboliser l'innocence -le blanc-avant le péché
originel, rachetée grâce au sacrifice divin-le rouge-...Cela
expliquerait que le cadre ne se referme pas sur lui-même pour montrer
que la vie se poursuit au-delà de la mort.
Au milieu et sur certains fonds blancs de la fresque, en plusieurs endroits,
on peut encore remarquer les restes d'une décoration faite de fleurs
stylisées composées de six points ronds et. noirs entourant
un point central de mêmes forme et couleur, l'ensemble figurant une
sorte de marguerite. On peut remarquer de semblables fleurs sur la robe de
Saint Thomas lorsqu'il touche les plaies du Christ dans le rétable,du
XV ième siècle qui orne le Choeur de Notre Dame de Paris. Cette
décoration florale était d'ailleurs une pratique courante dans
la statuaire religieuse du Moyen-Age.
Sous (a bordure d'encadrement se déroule horizontalement un listel
blanc, ou phylactère, bordé d'un trait noir près de chaque
bord. Entre les deux traits de liséré figurait un texte assez
court totalement illisible aujourd'hui, hélas. On devine pourtant encore
quelques lettres qui paraissent avoir été tracées en
beaux caractères gothiques livresques.
II-: La seconde partie, juste au-dessous de la première, aborde un
thème différent. Malheureusement elle se trouve teriblement
mutilée, d'abord dans sa partie centrale qui a disparu du fait de l'enchâs-;
sement et du scellement dans le mur même qui supporte la fresque, de
la dalle funéraire d' Humbert de Lespinasse déjà signalée
plus haut; puis dans sa partie basse, anéantie sur les trois-quarts
de sa surface où toute trace de peinture a disparu à jamais
en raison des grattages intempestifs et inconscients de l' enduit de support...
Passons maintenant à une description détaillée de la
fresque murale proprement dite.
On peut estimer qu'elle est d'inspiration byzantine en raison surtout des
personnages de fa crucifixion qui sont représentés dans des
positions hiératiques assez figées, à l'instar des mosaïques
orientales. Pourtant on ressent déjà l'influence de l' Ecole
Flamande par,une timide recherche de perspective et la mise en place d'un
décor de fond. Mais surtout, ce que nous ne pouvons hélas plus
apprécier pleinement aujourd'hui en raison des outrages du temps, une
recherche certaine des expressions des visages qu'on devine encore cependant
malgrè les dégâts infligés.
I - : PARTIE SUPERIEURE DE LA FRESQUE :
Elle mesure 3 mètres de large sur 2 mètres 20 de hauteur, bordure
d'encadrement et listel d'inscription compris. L' artiste semble avoir limité
sa palette à une gamme plutôt restreinte de couleurs,à
moins que ce ne soit la manifestation du temps qui en ait effacé certaines?
Cette sobriété paraît en effet insolite. Le jaune aujourd'hui
domine. Le rose qui colorait visages et membres a viré au noir en beaucoup
d'endroits suite à une: réaction chimique provoquée par
l'humidité ambiante. Le rouge a servi pour l'encadrement, les fonds
du décor, quelques vêtements et la couverture d'un livre. On
ne remarque aucun bleu ni aucun vert! On peut se rendre compte que les contours
des personnages ont été ébauchés au pinceau en
traits rouge-brun. Cela avait été aussi le cas à Charlieu.
Vraisemblablement, c'est une peinture à l'oeuf qui a été
utilisée. On se souviendra que ce fûrent les Flamands qui inventèrent
la peinture à l'huile au cours du XIV ième siècle et
qui la substituêrent peu à peu à la première.
Cette partie supérieure se. présente donc sous forme de tryptique.
Les trois volets ont environ 1 mètre 70 de hauteur. Les deux volets
latéraux sont larges d'environ 70 centimètres alors que le volet
central est large d' 1 mètre. Chaque volet est délimité
de chaque côté par une mince colonnette à toit très
pointu dont le fût est orné d'une guirlande en spirale. On trouve
4 de ces colonnettes placées à l'avant de la fresque. Au fond,
on ne voit plus que le haut de semblables colonnettes : 2 pour chacun des
trois volets. Soit encore 6 colonnettes, ce qui représente pour toute
la fresque,un total de 10 colonnettes, alors qu'on se serait plutôt
attendu à en trouver 12 pour symboliser les 12 portes de La Jérusalem
Céleste. Mais cela n'est pas le cas!
a) -: Le Volet Central : il représente le Christ en Croix, la tête
ornée d'un nimbe crucifère doré dans la partie visible
duquel s'inscrivent seulement les deux branches concaves d'une croix qui a
.dû être rouge sur fond or. II est d'ailleurs d'usage que seule
l'auréole du Christ comporte une croix. La tête du supplicié
est inclinée vers la droite et penche en avant pour indiquer qu'il
vient d'expirer. II porte dé longs cheveux blonds qui pendent dans
le vide du côté où la tête est inclinée,
mais qui recouvrent très loin l'épaule gauche, de l'autre côté.
Son menton est orné d'une barbe assez longue et blonde elle aussi.
La couleur rose qui était celle du visage, du corps et des membres
ayant viré au noir, il n'est plus possible de se rendre compte de l'existence
du coup de lance au côté droit. 3
II est vêtu d'un long pagne blanc, représentatif des crucifiements
des XIII ième et XIV ième siècles, au plissé compliqué
mais harmonieux, prenant assez bas sur les hanches et tombant audessous des
genoux. Les mains clouées''s'ont largement ouvertes mais déjà
rigides:..
Un seul clou fixe "les pieds à `la Croix, le droit chevauchant
le gauche. Toute la jambe gauche est douloureusement tordue vers l'intérieur,
à la limite du déboîtement dû genou: A 'nôter
que la représentation d'un seul clou pour les deux pieds ne s'est répandue,
en peinture religieuse, qu'à compter du XI ième siècle.`
Le bois du supplice, 'fiché au 'sol, un petit monticule de terre au
pied pour renforcer son équilibre, est particulièrement mince,
très étroit même, caractèristique en 'cela du XIV
ième siècle. Sur la partie verticale supérieure de la
Croix latine a été représentée une banderole s'enroulant
légèrement sur elle-même à chaque extrémité
et sur laquelle avait dû être inscrite la formule rituelle 'LN.R.1.'qui
ne se voit plus aujourd'hui. `
L'ensemble n'est pas sans' rappeler une crucifixion peinte vers 1360 et due
'au 'Maître de Cologne, par les caractéristiques ci-dessous :
* même longueur, même forme et même drapé du pagne
habillant le Christ. *' même déport vers la droite dés
genoux du crucifié.
* même étroitesse du bois de la Croix.
*' présence au pied de la 'Croix 'limitée 'a 2 personnes : La
Vierge Marie et Saint Jean.
En effet, les anciennes représentations du Calvaire montrent le plus
souvent seuls au Pied de la Croix, les deux Etres que jésus a le plus
aimés durant sa vie terrestre, à savoir sa Mère, bien
sûr, et ausi "le disciple qui avait reposé sûr la
poitrine de jésus":
A titre de référence, un vitrail du XII ième siècle
qui orne la Cathédrale de Châlons montre, seuls au pied de la
Croix sur laquelle expire Jésus, Marie et Jean qui assistent au supplice
Autre remarqué qui rapproche ce vitrail de notre fresque : tous deux
tiennent un livre. En outre, ils sont blonds tous les deux. Tous ces points
peuvent également s'appliquer à la crucifixion déjà
citée et datant de 1360... '
A la droite du Christ, Marié se tient debout, la tête recouverte
d'un long voile de couleur jaune qui cache lés épaules et retombe
sur sa robe qui a pu être représentée de couleur rouge.
Ce voile qui est relevé pour s'accrocher à droite à la
taille,' se termine par une traîne qui déborde sur
le volet' voisin.' On voit lé bout dés pieds. Le visage noirci
par le temps laisse pourtant deviner la beauté des traits ainsi que
leur expression pathétique. La tête est inclinée vers
le sol. L'avant-bras gauche relevé se termine par une main ouverte
à la hauteur de ('épaule, retournée et paume apparente,
qui désigne et déplore l'irréparable forfait. La main
droite sortant de dessous le voile étreint un livre à couverture
rouge qu'elle présente au visiteur la tranche tournée vers l'avant.
Deux mèches blondes s'échappent du voile et encadrent lé
visage. La Mère de jésus paraît très jeune. Mais
les peintres flamands l'ont toujours représentée ainsi.
De l'autre côté se tient jean, le disciple bien-aimé,
vêtu comme Marié d'un vaste manteau drapé de couleur jaune
lui recouvrant les épaules. Ce manteau est relevé et maintenu
à la' taille du côté gauche. Il est par dessus une longue
robe qui peut avoir été représentée de couleur
rouge et qui laisse apparaître le bout des pieds. Il se tient debout
lui aussi, la tête nue, le visage imberbe, ses longs cheveux blonds
retombant gracieusement sur les épaules. Le bras droit est 'replié
contré la poitrine,la main plaquée sur le coeur comme pour contenir
une trop forte émotion. Dans sa main gauche lui aussi tient un livre,
probablement figuratif de l' Evangile qu'il a écrit, la tranchè'égâlémént
tour- née vers l'avant. Comme d'habitude, il a été représenté
jeune.
Le nimbe qui auréolait sa tête, tout comme celui qui ornait celle
de la Sainte Vierge, se distinguent avec peine aujourd'hui.
b)-: Le Volet situé à la droite du CHRIST : il représente
un personnage auréolé vêtu d'un ample manteau sans plus
aucune couleur apparente à ,présent. Le pan gauche est relevé
et accroché à la taille. Ce manteau recouvre une longue robe
jaune qui laisse seulement apercevoir les bouts de chaque, pied. La main droite
du personnage est fermée mais l'index est pointé pour désigner
au visiteur un objet qu'il tient sur sa main gauche ouverte, la paume en l'air,
pouce apparent. . Il tient cet objet précieusement calé contre
sa poitrine. II est très effacé aujourd'hui, mais on distingue
encore très bien l'auréole qui l'entoure, ce qui est un indice,
important : il s'agit bien sûr du SAINT GRAAL dont la légende
remonte au XII ième ou au XIII ième siècle. II faut bien
se rappeler que dans le poême. médiéval "La Queste
du Saint Graal" , composé vers 1220, l'idéal religieux
de l'Ordre de Citeaux dominait largement. Plus récemment, l'écrivain
Henri Vincenot, dans son roman "Les Etoiles de Compostelle", page
56, fait dire à son "Prophète" en parlant de Bernard
de Fontaine :
"Ce n'est pas pour rien qu'à l'heure qu'il est, un clerc champenois,
formé à la grande école spirituelle de Bernard de Citeaux,
est en train de composer ' LA QUES.TE DU SAINT-.GRAAL
Bien sûr, c'est une interprétation personnelle des faits, mais
il n'empêche que la réalité historique est bien prouvée.
Et c'est le message qu'a voulu transmettre l'auteur de la fresque.
Du coup, l'identité du personnage ne présente plus aucun mystère.
II ne peut s'agir en effet que de joseph d' Arimathie, le Sanhédrin,
celui-là même qui réclama et obtînt de Ponce Pilate
le cadavre de jésus mort sur la Croix, pour le déposer dans
un tombeau neuf que Joseph d' Arimathie avait fait préparer pour sa
propre, sépulture,. après avoir sommairement lavé le
corps du supplicié, aidé par Nicodème. , , .
Selon la légende du Saint Graal, il recueillît dans le vase qui
avait servi à jésus à faire communier les Apôtres
tors du dernier repas en leur disant, "Buvez car ceci est mon sang...",
le sang qui s'écoulait de la plaie au côté infligée
à jésus par la lance d'un soldat.
La tête de joseph d' Arimathie est recouverte d'un long châle
défait - signe de deuil chez les juifs - de couleur jaune à
rayures longitudinales rouges, d'inspiration très hébraïque.
Le visage s'orne d'une longue barbe qui se divise en deux pointes séparées.
On voit que le personnage est âgé.
c)-: Le Volet situé à la gauche du CHRIST : il représente
un autre personnage auréolé et debout lui aussi, avec de longs
cheveux blonds lui encadrant le visage et retombant sur ses épaules.
II porte une barbe plutôt courte, à deux. pointes et lui. entourant
la, bouche. Malgrè cela il ne semble pas âgé. On peut
penser que la tête a été couverte d'une coiffure qui n'existe
plus aujourd'hui mais qui devait être de forme assez étrange
au vu du tracé qu'il en reste!
Sa main droite repose sur le noeud d'un bâton assez.long surmonté
d'un pommeau rond en forme de boule. Comme le haut n'est pas recourbé
en volute, il ne peut donc s'agir de la Crosse d' un Evêque...D' ailleurs
la coupe de cheveux du personnage démontre qu'il n'est pas un écc{ésiastique
ni même un moine qui sont généralement représentés
le crâne rasé et vêtus de la robe de bure... L` autre bout
du bâton est ferré et repose sur le sol, près du pied
droit du personnage. La hampe de cette longue canne est à bords parallèles
et l'ensemble du bâton est de couleur jaune.
III fait surtout penser au "bourdon" des pèlerins tels que
représentés dans la fresque des "Oeuvres de Miséricorde"
due à l' Ecole de Ghirlandaio,datée du XV ième siècle
et qui figure dans l' Eglise de San Martino del Buonomini, à Florence.
On peut encore voir plusieurs de ces mêmes bourdons dans le rétable
réalisé au XV ième siècle par. Hans Fries et qui
se trouve au Musée Ratzé, à Fribourd, en Suisse et décrivant
la séparation des Apôtres, après la mort de jésus,
alors qu'ils vont entreprendre leur mission et aller, chacun de son côté,
prêcher au Monde la "Bonne Nouvelle"
Chacun d'eux tient à la main un bourdon de couleur jaune, en tout point
identique à celui sur lequel s'appuie le figurant de notre fresque.
Son vêtement diffère cependant de celui qui habille les autres
personnages de la fresque. II ressemble à un vêtement guerrier
du Moyen-Age et appelé "haubert". II est regrettable que
toute couleur en ait disparu car la moindre teinte eût aidé à
mieux identifier cette "cotte de mailles". Elle est fendue devant
de chaque côté pour faciliter la tenue à cheval et tombe
un peu au-dessous dés genoux. Elle recouvre une robé de couleur
jaune qui tombé tout droit et presque sans pli jusqu'au sol, ne laissant
découvertes que les pointes des pieds.
. La main gauche surgissant de dessous ce qui semble être une capé,
présente un livre fermé la tranche tournée vers l'avant.
Ce personnage dégage une impression de majesté par son maintien
altier et martial, son allure décidée et même ûn
peu provocante ... Qui peut-il bien être?
Une rétable de Robert Campin (1375-1444), le "Mariage de la Vierge",
peint vers 1420 et qui se trouve actuellement au Musée du Prado, à
Madrid, comporte au dos une statue simulée en grisaille qui représente
Saint Jacques le Majeur. Elle n'est pas sans rappeler notre personnage.
En outre :
* sur la fresque, il est près dé St. Jean. Or Jacques le Majeu.-
est le frère aîné de jean l' Apôtre:
l' Abbaye de La Bénisson Dieu était une étape connue
des pélérins qui allaient de Vézeiay à Saint Jacques
de Compostelle. Dans le même livré déjà cité
d' Henri Vincenot le fait est rapporté à la page 230.
sur la fresque le personnage semble relativement jeune. Or Jacques a été
décapité à Jérusalem en 44 après J.C. On
estime que Jésus est vraisemblablement mort en l'an 28, à 33
ans. Comme Jésus et Jacques avaient à peu près le même
âge, à sa mort, Jacques avait tout juste 50 ans. Sur la peinture
if a été représenté à sa quarantaine...
son air martial et son vêtement guerrier il les doit à ce que
les Espagnols l'ont toujours représenté à la tête
de leurs troupes pour conduire la "Reconquista". C'est ainsi qu'il
a gagné son titre de "Matamore" qui, traduit littéralement,
signifie "le tueur de Maures". II faut se rappeler que les Moines
Cisterciens ont joué un rôle important dans cette guerre contre
les Arabes et que c'est justement l'un d'eux qui fonda en 1158 I' Ordre Religieux
et Guerrier de "Calatrava"; du nom de cette ville repise aux envahisseurs
musulmans en 1154.
son bourdon pour rappeler le miracle qu'il fît pour étancher
sa soif alors que des mécréants le brutalisaient. En effet,
Jacques de Voragine stipule dans sa "Légende Dorée"
composée au Xlll ième siècle : "il frappa la terre
de son bâton et dans l` instant il surgît en ce lieu une rivière
capable de faire tourner un moulin..."
le livre que notre personnage tient à la main indique sa mission de
prêcher la parole Evangélique. St. Jacques le Majeur est très
souvent représenté, tenant un livre
enfin, la coiffure étrange dont il a été question plus
haut correspond tout à fait au large feutre avec lequel les imagiers
le représentent toujours, le bord frontal relevé et orné
d'une ou de plusieurs coquilles, symboles du fameux pélerinage. L'
église d' Issy l' Evêque,' en Saône-et-Loire, contient
une statue typique de Saint Jacques le Majeur.
Cette longue liste d'indices tend bien à prouver que c'est sans aucun
doute ce Saint Jacques que notre fresquiste a voulu faire figurer dans sa
représentation picturale.
Reste à savoir pourquoi avoir justement choisi Saint Jacques le Majeur?
L' Abbé de La Bénisson Dieu à l' époque où
la fresque fût peinte était-il Espagnol? Etait-il un fervent
du pélerinage de Saint Jacques de Compostelle ? Etait-il titulaire
de I' Ordre de Calatrava? A moins que ce n'ait été le cas du
bienfaiteur qui commanda la fresque? Ou bien encore -le fresqiste lui-,..
même? Qui le dira jamais...?
Une autre remarque pour constater que le peintre s'est évertué
de toute évidence à -créer; une symétrie entre
les deux personnages latéraux et la scène centrale de la ,crucifixion.
En effet, tous deux portent le poids de leur .corps sur le pied qui se trouve
le plus près de la Croix,' l'autre
pied. paraissant juste effleurer le sol; comme si, tous deux et d'un même
élan, avaient cherché à se-' rapprocher du Christ.
Par ailleurs il appert aussi que. chacun. d'eux est considérablement
grossi par rapport à l' échelle adoptée qui servît
de base pour dessiner les personnages du volet central. On peut s'interroger
sur cette différence de proportions certainement recherchée,
car la place ne manquait pas -au peintre pour conserver des proportions uniformes.
11 est vraisemblable qu'il a voulu insister sur l'enseignement que ces deux
personnages étaient censés apporter. Les contemplateurs de la
fresque devaient retrouver le message induit par la geste des personnages
représentés, d'où le grossissement de leur taille respective
par rapport aux autres personnages: II faut bien reconnaître qu' à
cette époque, les fresques représentaient les seuls livres accessibles
pour beaucoup de gens !!
II est amusant de noter en passant que -cette différence de proportions
avait même fait croire à l'auteur du dessin de 1992 dont il a
été question à la première page, que ta Vierge
et Saint Jean avaient été représentés ployant
le genou ! Ce qui n'est bien sûr pas le cas comme le démontre
aujourd'hui la fresque presque retrouvée !
11 - : PARTIE INFERIEURE DE LA FRESQUE :
Sous la partie inférieure de la bordure d'encadrement de la fresque
qui vient juste d'être décrite et sous le listel délivrant
un illisible message, la peinture murale se continuait autrefois, Aujourd'hui,
elle se trouve d'une part divisée par la pierre tombale dressée
au beau milieu de la fresque au siècle dernier, laquelle ne devait
pas être très apparente à cette époque, et d'autre
part détruite au cours de la malheureuse opération de mise en
place de la pierre tombale, du fait de la dégradation de l'enduit sur
lequel elle était peinte.
La partie peinte à cet endroit mesurait initialement 3 mètres
de large sur 1 mètre 30 de hauteur. II n'en reste plus aujourd'hui
que la partie supérieure moins 1 mètre 20 au centre, représentant
la largeur de la pierre tombale.
En bref, lorsqu'on se tient face à la peinture, il reste, à
gauche, un espace peint de 72 centimètres de large sur 35 centimètres
de haut environ et, de l'autre côté, à droite, de 82 centimètres
de large sur 39 centimètres de haut. Soit en gros le huitième
de la peinture originale du bas de la fresque!
On peut à nouveau diviser la description de cette autre partie en deux
paragraphes, soit un pour chacun des espaces délimités ci-dessus,
a)-: Partie gauche quand on se tient face à la pierre tombale :
On devine plus qu'on ne voit vraiment; la tête et la moitié du
buste d'un personnage blond tourné de trois-quarts vers le visiteur
et montrant donc une partie de son dos à la fresque. . La tête
est coiffée d'une mitre dont la forme basse est caractéristique
du XIII ième siècle. Les épaules sont couvertes d'une
lourde chape de cérémonie, à moins qu'il ne s'agisse
d'un camail d' Abbé, dont le fermoir transversal est nettement visible.
Sa main droite est levée, le pouce dressé, ainsi que l'index
et le majeur qui sont joints. L'annulaire et l'auriculaire sont fermés
et repliés sur la paume de la main. C' est le geste classique de la
bénédiction. Moins souvent celle du prêche...
Au-dessous, le reste de la peinture apparaît, hélas, irrémédiablement
détruit.
A droite; derrière le personnage, et se poursuivant dans son dos, on
peut 'voir des alignements de trois rangées de six carreaux chacune,
comme si le personnage se tenait debout devant un vitrail ou une mosaïque.
Deux au moins de ces carreaux ont pour motif de décoration une roue
au : moyeu apparent duquel partent huit rayons. Les motifs des autres carreaux
sont aujourd'hui effacés mais il est.facile d'imaginer qu'ils traitaient
tous du même thème, qui n'est pas sans faire penser à
celui qui décore la mosaïque de l'admirable mausolée de
l' Impératrice Galla Placidia, à Ravenne, en Italie et qui date
du V ième siècle. Le thème évoqué par cette
mosaïque résume l'enseignement d' Aristote, lequel est basé
sur la position des étoiles. Or justement ces étoiles sont aussi
représentées par des roues à huit rayons ! Coincidence
? Dans l'affirmative elle est troublante.:.
Ce thème est contenu dans le 'Livre de la Sagesse', chapître
7; versets 17 à 21:
17-: C' est lui qui m'a donné la véritable connaissance de ce
qui est afin que je sache l'ordre du Monde et les vertus des éléments,
18-: le :commencement; la fin et le milieu des Temps, la raison de toutes
choses, la variation : des mouvements, la division du temps,
19-: la course de l'année, la position des étoiles,
20-: la nature des animaux, les colères des bêtes sauvages, la
force des vents, la pensée des . hommes, la différence des arbres
et les vertus des racines.
21-: Tout ce qui est caché et se manifeste soudain je ('ai appris;
car la Sagesse, ouvrière de toutes choses, me l'a enseigné!
Cette interprétation est très plausible car elle correspond
à la philosophie de Saint Bernard et il est tentant de mettre ces versets
dans la bouche de l' Abbé qui prêche dans cette partie de la
fresque et qui est peut-être Saint Bernard lui-même, et de l'imaginer
en train de communiquer sa connaissance aux Moines groupés devant lui.......
ainsi qu'aux visiteurs que nous sommes...
b)-: Partie droite quand on se tient face à la pierre tombale :
Là on distingue très nettement un écu de forme ancienne,
c'est-à-dire en "tiers-point" avec les côtés
arrondis et, convexes -se rejoignant en pointe et tel qu'il, était
d'usage de tes représenter aux XIII ième et XIV ième
siècles.
A compter du XV ième siècle ils deviendront de forme plus rectangulaire
avec les bords latéraux parallèles jusqu'au deux-tiers de la
hauteur:
L' écu était surmonté d'un "cimier" méconnaissable
aujourd'hui. Ce qu' if en reste fait penser à un chapeau ecclésiastique.
Les "armes" qu'il figurait sont dites "mi-parti", c'est-à-dire
que l' écu est divisé verticalement en deux moitiés égales
mais dissemblables.
Celle de droite, pour le héraut qui le lit et se tient derrière
pour le présenter, est totalement illisible actuellement. Toute interprétation
relèverait de l' imagination la plus débridée !
Par contre, l'autre moitié se trouve être en un peu meilleur
état: Elle semble composée de huit "bandes" à
moins encore qu'elle ne soit "coticée en bandes". Ce qui
revient à dire qu'elle paraît composée de huit diagonales
de couleurs alternées allant de gauche à droite et du haut vers
le bas
dans le premier cas, ou d'au moins dix de ces mêmes diagonales dans
le second.
Les "émaux"ou couleurs,de ces "bandes" paraissent
avoir été "sable" (noir) sur un "champ"
(fond) d'argent. Mais aucune certitude ne peut être acquise à
ce sujet, d'autant que les couleurs qui apparaissent aujourd'hui peuvent fort
bien avoir été dnaturées par le temps et l'humidité
comme ce
fût le cas pour le rose dés visages devenu tout noir !
A droite de l'écu armorié existe un grand espacé vidé
de couleur rouge,au bas duquel se devine les trois-quarts d'un cercle qui
paraît trop petit pour avoir représenté une auréole
de Saint.
Par contre, ce pourrait très bien être le contour de la tête
d'un nouveau personnage, tournant lui aussi le dos à la fresqué;les
cheveux bouclés et coupés assez court. On devine encore au-dessus
des épaules une sorte de col de vêtement.
fresque ?
Serait-ce la représentation d'un Bienfaiteur ? Peut-être du mécène
qui commandita
La peinture murale s'arrête là, abruptement. Toute la partie
inférieure a disparu à jamais avec l'enduit sur lequel elle
avait été peinte. A peine distingue-t'on un peu plus bas quelques
traces colorées et notamment de gros traits noirs et horizontaux. Un
autre trait, vraiment récent celui-là,
au crayon, marque la limite extrême où s'arrêtait la fresque.
III - : TENTATIVE DE DATATION :
II est bien évidemment regrettable que les armoiries de l' écu
ne soient plus lisibles car en les déchiffrant on aurait pu avancer
une datation précise. Ce sont en effet vraisemblablement celles -du
bienfaiteur qui commanda la fresque. II est cependant possible d'affirmer
avec le peu qui en reste que ce ne sont pas celles de Ia Famille de ta Fin;
elles ne paraissent pas davantage pouvoir appartenir aux de Lespinasse. En
effet, les blasons de ces deux familles sont bien connus. Ils figurent d'ailleurs
tous deux à l' intérieur de l' Eglise.
Pourtant, si nous réunissons tous les éléments relevés
au fil de l'étude afin d' essayer de suggérer une date de facture,
nous trouvons pour ce dessein :
le nombre de clous utilisés pour le crucifiement 'qui se limite à
3 depuis le XI ième siècle, la représentation au pied
de la Croix dé seulement Marie et jean selon la pratique courante aux
XII ième et XIII ième siècles,
la forme de la mitre de l' Abbé qui indique lé XIII ième
siècle,
la similitude des colonnettes avec celles du Psautier de St.Louis terminé
au XIII ième siècle le pagne cachant ta nudité du Christ
dont la longueur caractérise les Xlfl ième et XIV ième
siècles,
la forme en tiers-point de l' écu, courante aux XIII ième et
XIV ième siècles.
la similitude de dessin et de facture avec une crucifixion peinte au XIV ième
siècle, la forme tryptique de la fresque devenue courante à
compter du XIV ième siècle, l'utilisation par le peintre d'une
peinture à l'oeuf, usuelle jusqu'au XIV ième siècle,
enfin diverses références - dont l'avis de M. Déchelette
- favorables au XV ième siècle.
I) serait tentant, voire flatteur pour l' Abbatiale, de retenir la date du
XIII ième siècle. Mais il paraît plus réaliste
d'avancer plutôt celle du XIV ième au mieux et ce, en fondant
notre raisonnement sur ce que nous connaissons des us monastiques des Cisterciens.
En effet, à la fin du XIII ième siècle l' Abbaye aurait
eu à peine cent ans d' âge. Comment alors imaginer qu' un Abbé,
encore si proche de fa date de fondation ait tolèré un tel manquement
à la Règle de Stricte Observance qui avait été
la raison même de la création du mouvement cistercien, en permettant
à un peintre, si génial fût-il, de réaliser une
oeuvre picturale et décorative à l'intérieur même
de l' Eglise où pas un seul chapiteau n'avait été orné
de la moindre sculpture par respect justement pour cette Règle ? C'
est ce type de décoration que Saint Bernard abhorrait et qu'il reprochait
sévèrement à Cluny ! II avait été jusqu'
à bannir l' édification de clochers ! C' est dire !
II n'est qu' à contempler l' humble pierre tombale de l' Abbé
Bernard de Rochefort dont il a été question au début
et découverte il y a seulement quelques années. Cet Abbé
décéda vers 1272.
On se rend bien compte qu' à son époque la moindre peinture
à !' intérieur du Sanctuaire était totalement inconcevable.
Qu'elle eût représenté de surcroît une incongruité
pour ne pas dire un véritable blasphème.
Par contre, quelques cent années plus tard, l' Abbé Jean II,
successeur d' Aymon et prédécesseur de Thomas Lessent, verra
sa propre pierre tombale, retrouvée il y a peu en même temps
que la précédente, non seulement ornée de sa propre image
de pied en cap, revêtue d'un somptueux habit de cérémonie,
étole au cou et crosse en main, mais encore décorée d'angelots
balançant des encensoirs, de lions couchés au pied de l' Abbé
et autres fioritures. Or cet Abbé mourût en 1365...
L' austère simplicité, la modeste facture, de la première
dalle, comparées à la richesse de dessin et à la vaniteuse
ornementation de la seconde, montrent assez qu'il s'était passé
quelque chose d'important entre ces deux dates séparées de moins
d' un siècle et qu' un fort assouplissement de la. Règle était
venu tempérer la discipline de vie.et de moeurs de nos Moines !
Si donc une fresque murale à l' intérieur de l' Eglise était
inimaginable en 1272, elle paraît tout à fait concevable en 1365,
si l'on se fie à l' enseignement prodigué par les deux pierres
tombales ci-dessus que l'on peut étudier tout à loisir aujourd'hui
dans le musée lapidaire situé dans
la première travée du collatéral gauche de l' Eglise.
.
Soit. Mais alors pourquoi avoir choisi de placer cette splendide crucifixion
tout au bas de la nef ? Pourquoi ne pas lui avoir consacré la place
qu'elle méritait de droit dans te. Choeur même de l' Eglise comme
n' hésitera pas à le faire quelques deux cent cinquante années
plus tard Françoise de Nérestang, 1 ère Abbesse du Couvent
lorsqu'il fût devenu une Abbaye de Dames et quand elle voulût
placer le rétable qui avait été exécuté
sur son ordre et orné de ses "Armes" ?
La seule explication plausible est que le Monastère a commencé
d' accepter dès le XIII ième siècle !a fréquentation
et le patronnage de Seigneurs laïcs qui venaient assister à certains
offices et qui, tout naturellement, souhaitaient élire le Couvent comme
lieu de leur sépulture. Et comme tous,tel cet Humbert de Lespinasse,
se montraient au demeurant de généreux donateurs, comment l'
Abbé en titre aurait-il pu leur refuser ce privilège sans risquer
de priver le Monastère de cette si nécessaire et importante
source, de revenus ? II ne restait donc comme solution qu' à leur concéder
le bas de la Nef pour pratiquer ces funèrailles en y créant
une Chapelle Funéraire dans laquelle une représentation de la
crucifixion était vraiment toute indiquée.
Ceci expliquerait du même coup la présence des blasons peints
à même la pierre du linteau du porche d' entrée de l'
Eglise, dont celui, à droite, d' Humbert de Lespinasse, dont la date
du décès - 1300 - pourrait plus ou moins coincider avec le commencement
de cette coutume. Ceci pourrait encore contribuer à accrèditer
la tradition orale et locale qui prétend qu'un cimetière se
soit jadis trouvé sous l'emplacement de l'actuel, parvis de l' Eglise.
Sans doute que des fouilles menées à cet endroit permettraient
d' étayer cette hypothèse:
Comme les Moines étaient logés de l' autre côté,
au Nord, et qu'ils pénétraient dans le Sanctuaire directement
du.cloître dans le Choeur, cette concession au Monde et aux. besoins
matériels ne pouvait en rien troubler la tranquillité de leur
vie religieuse ni leur soif de recueillement. Quant
à la peinture murale ainsi soustraite à. leurs regards, elle
ne pouvait en aucune façon distraire leurs saintes méditations.
Après tout, des concessions en ce sens avaient déjà été
faites en tolèrant des sépultures de Seigneurs de haut lignage
dans le cloître et dans la salle capitulaire.. Mieux valait concéder
un nouvel emplacement hors les murs du Couvent plutôt que de généraliser
la pratique à l' intérieur !
IV - : CONCLUSIONS :
Pour clore cette longue étude, il faut bien reconnaître que cette
peinture murale qui vient d'être rendue à l'admiration méritée
des visiteurs grâce à un louable et généreux effort
financier de la Région avec la participation de la Commune, est l'
oeuvre d'un artiste inconnu doué d'un immense talent et on est en droit
de se demander comment il est possible qu'un aussi modeste Monastère,
caché loin des rumeurs du monde et enfoui au plus profond des bois,
ait pu abriter dans ses murs un peintre aussi remarquable, maîtrisant
aussi parfaitement son art, preuve d' une longue et solide expérience,
doublée d' une connaissance approfondie des Maîtres, des peintures
existantes, des lieux où se déroula la Passion du Christ et
des évènements qui entourèrent cette dramatique circonstance
?
Et tout cela sans transmettre le moindre nom, la moindre tradition, le plus
modeste indice qui nous mettrait sur la voie de sa découverte ?
Faut-il en conclure que ce peintre, à force de se consacrer à
réaliser un peu partout des oeuvres pieuses ait fini par être
gagné par la Foi et touché par la Grâce et qu'il ait décidé
de venir terminer sa vie loin du monde et de ses vains tracas. II aurait alors
choisi l' humble Monastère de
La Bénisson Dieu comme ultime retraite, où il aurait réalisé,
pour notre plus grande édification sa dernière fresque ?
Si c'est vraiment le cas, il conviendrait de retarder encore un peu la datation
de son oeuvre pour la situer vers la fin du XIV iéme siècle,
voire même au tout début du XV ième car ce seraient alors
son âge et ses techniques anciennes qui feraient paraître la fresque
un peu plus vieille qu' elle ne le serait en réalité.t
Nous n' en saurons sans doute jamais plus et cela restera le secret du peintre
et de son oeuvre. Pour le moins sachons lui rendre un hommage tardif mais
profondément sincère en venant admirer sans retenue sa remarquable
réalisation et souhaitons que la postérité reconnaisse
bientôt en lui le "Maître de La Bénisson Dieu".
11 a bien certainement mérité ce titre...
On peut encore supputer que cet artiste était originaire du Nord de
l' Europe, très vraisemblablement des Flandres, et donc du Duché
de Bourgogne, car tous les personnages qu'il a représentés sont
blonds. Aucun n' a le type latin, malgrè le lieu géographique
où se déroula la scène.
II convient en effet d' admettre que la fresque est bien plus d' inspiration
flamande qu' italienne du fait de la timidité de la perspective utilisée.
En outre, la plastique des personnages en place, notamment celle du Christ
dont la nudité permet de mieux la remarquer, est loin d' atteindre
la rigueur anatomique des Maîtres Toscans.
Par contre l'ensemble exhale toute la sensibilité des Maîtres
Flamands. Par ailleurs les thèmes utilisés démontrent
que l' artiste possédait une érudition profonde quant à
l' histoire et à la tradition cisterciennes.
Un Maître Flamand devenu Moine en l' Abbaye de La Bénisson Dieu
? Après tout, pour quoi pas ?
(Seconde version - Corrige et remplace celle datée du 2 Juin 1998)
Daniel M. Lacour, La Teyssonnière, ce 25 Juin 1998