Abbaye royale de La Bénisson-Dieu
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FRESQUE DEGAGEE AU COURS DE L'HIVER 1997

 

DESCRIPTIF DE LA FRESQUE DEGAGEE AU COURS DE L'HIVER 1997 DANS L'EGLISE ABBATIALE de LA BENISSON DIEU


Depuis fort longtemps, l'existence d'une peinture murale sur le mur de séparation entre la première travée du collatéral droit et la Chapelle de Nérestang était connue car quelques vestiges du dessin original avaient subsisté, bravant à travers les siècles les injures du temps et pis encore,la lèpre causée par une humidité excessive qui sévît hélas durant de trop nombreuses années du fait de l'état de total abandon dans lequel avait été maintenu le peu qui restait de ce splendide Monastère. Ces vestiges de dessins se sont d'ailleurs affirmés et sont devenus plus nombreux et plus visibles suite aux travaux d'assainissement entrepris au cours de l'hiver 1990/91 et qui permîrent en outre la mise à jour de deux pierres tombales dont il sera question à la fin de ce texte. Sur le même mur où a été peinte la fresque on a appuyé, fort malencontreusement d'ailleurs, une très belle dalle tumulaire qui recouvrît autrefois les restes terrestres du Chevalier Humbert de Lespinasse, qui décéda le 3 ième jour des calendes d' Avril, en l' An de Grâce 1300.
Si certains ouvrages historiques ont traité assez substantiellement de cette plate pierre plutôt monumentale : elle mesure en effet 2 mètres 36 de hauteur sur 1 mètre 20 de large et doit peser au moins 2 tonnes, les historiens sont curieusement restés très laconiques à l' endroit de la fresque! II est vrai qu'elle était si peu visible à leur époque qu'ils ont quelques excuses!
II est bon de rappeler à ce propos que Monsieur joseph Déchelette ne fît pas exception à cette règle dans l'ouvrage qu'il écrivît conjointement avec Monsieur Eleuthère Brasard, et édité en 1900 à Montbrison et qu'il intitula :

" Les peintures murales du Moyen-Age et de la Renaissance en FOREZ "
que l' on peut consulter à la Médiathèque de Roanne, dans le Fond Local, où il figure sous 1a référence 4014F. II n'hésita d'ailleurs pas à dater cette fresque du XV ième siècle, encore qu'à son époque il n'en vît certes pas grand chose!
II déclarait en effet brièvement dans le chapître de son livre qui la mentionnait, après avoir daté de ce même XV ième siècle d'autres vestiges de peintures régionales :
".....Tels sont encore les restes d'un crucifiement peint dans la première travée du collatéral droit de l' Eglise de La Bénisson Dieu, où l'on distingue seulement !a figure du Christ lié à une Croix très mince, avec, à sa gauche, saint Jean tenant un livre..... "
Plutôt laconique et certainement hâtif pour une datation aussi péremptoire. En prêtant un peu plus attention il lui aurait été certainement possible d'en découvrir davantage, à preuve le dessin ci-joint qu'un amateur réalisa le 15 Août 1992, soit près d'un siècle plus tard et cinq ans et demi avant que la fresque ne soit dégagée, et sur lequel on retrouve bien les 5 personnages figurant sur le tableau ainsi que plusieurs des accessoires qui y sont représentés! A l'époque il est vrai, le décor de fond était totalement invisible. Pour permettre une comparaison,un autre dessin représentant la fresque dans son état actuel, a aussi été joint.
Quant à la dalle tombale d'Humbert de Lespinasse, nul ne sait exactement d'où elle provient ni du lieu où elle se trouvait auparavant, bien que le plan dressé par Monsieur Donjon, Instituteur à La Bénisson Dieu à la fin du siècle dernier, la montre à plat,à même le sol dans la première encoignure Sud du collatéral droit. Vraisemblablement elle fût enlevée pour loger à sa place quand on le remonta du caveau immergé de la Chapelle de Nérestang, le sarcophage vide de Dame Alice de Suilly, épouse de Guy III, Comte de Forez, et qui fût longtemps exposé à cet endroit, avant d'être transféré dans ta travée en face, dans le collatéral gauche où se trouve le musée lapidaire.
Quoi qu'il en soit, ceux qui dressèrent la plate pierre contre 1e mur où elle se trouve actuellement ne se préoccupèrent nullement qu'ils étaient en train d'anéantir irrémédiablement une bonne partie de la fresque unique et précieuse qui se trouvait juste derrière!Leur seule excuse est qu' ils n' eûrent certainement jamais conscience du grave dommage qu' ils venaient de commettre au regard de la postérité!
Pour revenir maintenant à notre sujet, il convient de faire déjà deux remarques :
1-: La première pour s'étonner que le Monastère ait eu la chance d'abriter dans ses murs un artiste doué d'un tel talent qui dépassait largement le cadre local, faisant preuve au demeurant d' une parfaite maîtrise de son art qui montre une longue pratique et des notions étendues à la fois historiques et artistiques! Et, pour ces dernières, une connaissance approfondie des Maîtres Flamands et Italiens.
2-: La seconde pour trouver plutôt curieux qu'un Abbé d'un Monastère Cistercien dont la Règle d' austérité n'est un secret pour personne, ait pu permettre à un peintre, si talentueux fût-i{, une telle entorse à la Règle en le laissant décorer l'intérieur même du Sanctuaire que les bâtisseurs n'avaient pas osé orner d'un seul chapiteau sculpté?
Le premier qui se soit permis cette audace fût Pierre de La Fin, Seigneur issu d'une noble famille bourguignonne et qui fût Abbé de La Bénisson Dieu de 1460 à 1504. Durant cette période,il entreprît à ses frais d'importants travaux de rénovation dont (e toit actuel de l'Eglise,en tuiles vernissées et la construction du beffroi. Pourtant la fresque paraît antérieure à son ministère et le blason
qui y figure et qui sera étudié plus loin,bien que quasi indéchiffrable actuellement,ne semble pourtant pas être celui de la Maison de ce grand Abbé qui inaugura la tenue en commende de l'Abbaye pour prendre en même temps la gouverne de l'Abbaye de Pontigny, après avoir été un temps l'Abbé régulier de La Bénisson Dieu où il débuta son noviciat.
Mais revenons à nouveau et pour l'instant à la fresque. Pour les besoins de l'étude entreprise, nous la diviserons en deux parties qui sont de toute manière bien distinctes l'une de l'autre.
I-: La partie supérieure représente une "crucifixion". Elle a été présentée par le peintre en trois tableaux. II a voulu figurer un triptyque fixe dont chacun des volets a été délimité par un encadrement fait de minces colonnettes chapeautées de toits très pointus qui ne vont pas sans rappeler des "minarets". Le fût des quatre colonnettes du devant du tableau est décoré d'une spirale montante s'enroulant de gauche à droite. Quant aux 6 colonnettes à l'arrière-plan dont on ne voit que la partie supérieure, elles paraissent reliées entre elles par des arrondis en forme de dômes,le tout représentant sans doute une vue plongeante sur la ville sainte de Jérusalem depuis le haut du Mont Golgotha. L'aspect oriental du décor ne peut échapper et prouve une connaissance des lieux de la part du peintre.
Le Psautier de Saint Louis,terminé vers 1260 et qui s'inspire des décorations de la Sainte Chapelle de Paris, contient des enluminures illustrant en plusieurs endroits de semblables colonnettes surmontées des mêmes toits très pointus et de forme résolument gothique.
Cependant, le décor de fond des volets latéraux demeure plus énigmatique en raison de l' état actuel de la fresque. La première impression est qu'une foule de têtes auréolées se presse derrière chaque personnage représenté et qui seront décrits plus loin...
II paraît pourtant plus vraisemblable que ces arrondis figurtent plutôt l'entrée obscure des marchés couverts du Moyen-Orient, plus connus sous le nom de "Souk". On voit en effet l' épaisseur du mur d'enceinte à sa jointure avec ces voûtes.
Le triptyque est entouré d'une bordure composée de rectangles peints alternativement en rouge et en blanc. Une finition en "trompe -l'oeil" semble avoir été rajoutée tardivement car on peut relever des erreurs dans la répétition du motif de la bordure d'encadrement, preuves de l'intervention d'une main moins soigneuse que celle de l'artiste...
Ce qui paraît étrange, c'est que cette bordure représente un cadre non fermé qui part en effet du bas gauche de la fresque vers la droite, remonte vers le haut à angle droit, tourne à nouveau à gauche à angle droit puis redescend de même en passant devant le point de départ sans le toucher, laissant même un assez large espace entre les deux tracés de la même bande. La bordure se prolonge plus loin vers le bas...
Cette bande à carreaux alternés, tantôt rouges tantôt blancs, pourrait symboliser l'innocence -le blanc-avant le péché originel, rachetée grâce au sacrifice divin-le rouge-...Cela expliquerait que le cadre ne se referme pas sur lui-même pour montrer que la vie se poursuit au-delà de la mort.
Au milieu et sur certains fonds blancs de la fresque, en plusieurs endroits, on peut encore remarquer les restes d'une décoration faite de fleurs stylisées composées de six points ronds et. noirs entourant un point central de mêmes forme et couleur, l'ensemble figurant une sorte de marguerite. On peut remarquer de semblables fleurs sur la robe de Saint Thomas lorsqu'il touche les plaies du Christ dans le rétable,du XV ième siècle qui orne le Choeur de Notre Dame de Paris. Cette décoration florale était d'ailleurs une pratique courante dans la statuaire religieuse du Moyen-Age.
Sous (a bordure d'encadrement se déroule horizontalement un listel blanc, ou phylactère, bordé d'un trait noir près de chaque bord. Entre les deux traits de liséré figurait un texte assez court totalement illisible aujourd'hui, hélas. On devine pourtant encore quelques lettres qui paraissent avoir été tracées en beaux caractères gothiques livresques.
II-: La seconde partie, juste au-dessous de la première, aborde un thème différent. Malheureusement elle se trouve teriblement mutilée, d'abord dans sa partie centrale qui a disparu du fait de l'enchâs-; sement et du scellement dans le mur même qui supporte la fresque, de la dalle funéraire d' Humbert de Lespinasse déjà signalée plus haut; puis dans sa partie basse, anéantie sur les trois-quarts de sa surface où toute trace de peinture a disparu à jamais en raison des grattages intempestifs et inconscients de l' enduit de support...
Passons maintenant à une description détaillée de la fresque murale proprement dite.
On peut estimer qu'elle est d'inspiration byzantine en raison surtout des personnages de fa crucifixion qui sont représentés dans des positions hiératiques assez figées, à l'instar des mosaïques orientales. Pourtant on ressent déjà l'influence de l' Ecole Flamande par,une timide recherche de perspective et la mise en place d'un décor de fond. Mais surtout, ce que nous ne pouvons hélas plus apprécier pleinement aujourd'hui en raison des outrages du temps, une recherche certaine des expressions des visages qu'on devine encore cependant malgrè les dégâts infligés.
I - : PARTIE SUPERIEURE DE LA FRESQUE :
Elle mesure 3 mètres de large sur 2 mètres 20 de hauteur, bordure d'encadrement et listel d'inscription compris. L' artiste semble avoir limité sa palette à une gamme plutôt restreinte de couleurs,à moins que ce ne soit la manifestation du temps qui en ait effacé certaines? Cette sobriété paraît en effet insolite. Le jaune aujourd'hui domine. Le rose qui colorait visages et membres a viré au noir en beaucoup d'endroits suite à une: réaction chimique provoquée par l'humidité ambiante. Le rouge a servi pour l'encadrement, les fonds du décor, quelques vêtements et la couverture d'un livre. On ne remarque aucun bleu ni aucun vert! On peut se rendre compte que les contours des personnages ont été ébauchés au pinceau en traits rouge-brun. Cela avait été aussi le cas à Charlieu.
Vraisemblablement, c'est une peinture à l'oeuf qui a été utilisée. On se souviendra que ce fûrent les Flamands qui inventèrent la peinture à l'huile au cours du XIV ième siècle et qui la substituêrent peu à peu à la première.
Cette partie supérieure se. présente donc sous forme de tryptique. Les trois volets ont environ 1 mètre 70 de hauteur. Les deux volets latéraux sont larges d'environ 70 centimètres alors que le volet central est large d' 1 mètre. Chaque volet est délimité de chaque côté par une mince colonnette à toit très pointu dont le fût est orné d'une guirlande en spirale. On trouve 4 de ces colonnettes placées à l'avant de la fresque. Au fond, on ne voit plus que le haut de semblables colonnettes : 2 pour chacun des trois volets. Soit encore 6 colonnettes, ce qui représente pour toute la fresque,un total de 10 colonnettes, alors qu'on se serait plutôt attendu à en trouver 12 pour symboliser les 12 portes de La Jérusalem Céleste. Mais cela n'est pas le cas!
a) -: Le Volet Central : il représente le Christ en Croix, la tête ornée d'un nimbe crucifère doré dans la partie visible duquel s'inscrivent seulement les deux branches concaves d'une croix qui a .dû être rouge sur fond or. II est d'ailleurs d'usage que seule l'auréole du Christ comporte une croix. La tête du supplicié est inclinée vers la droite et penche en avant pour indiquer qu'il vient d'expirer. II porte dé longs cheveux blonds qui pendent dans le vide du côté où la tête est inclinée, mais qui recouvrent très loin l'épaule gauche, de l'autre côté. Son menton est orné d'une barbe assez longue et blonde elle aussi. La couleur rose qui était celle du visage, du corps et des membres ayant viré au noir, il n'est plus possible de se rendre compte de l'existence du coup de lance au côté droit. 3
II est vêtu d'un long pagne blanc, représentatif des crucifiements des XIII ième et XIV ième siècles, au plissé compliqué mais harmonieux, prenant assez bas sur les hanches et tombant audessous des genoux. Les mains clouées''s'ont largement ouvertes mais déjà rigides:..
Un seul clou fixe "les pieds à `la Croix, le droit chevauchant le gauche. Toute la jambe gauche est douloureusement tordue vers l'intérieur, à la limite du déboîtement dû genou: A 'nôter que la représentation d'un seul clou pour les deux pieds ne s'est répandue, en peinture religieuse, qu'à compter du XI ième siècle.`
Le bois du supplice, 'fiché au 'sol, un petit monticule de terre au pied pour renforcer son équilibre, est particulièrement mince, très étroit même, caractèristique en 'cela du XIV ième siècle. Sur la partie verticale supérieure de la Croix latine a été représentée une banderole s'enroulant légèrement sur elle-même à chaque extrémité et sur laquelle avait dû être inscrite la formule rituelle 'LN.R.1.'qui ne se voit plus aujourd'hui. `
L'ensemble n'est pas sans' rappeler une crucifixion peinte vers 1360 et due 'au 'Maître de Cologne, par les caractéristiques ci-dessous :
* même longueur, même forme et même drapé du pagne habillant le Christ. *' même déport vers la droite dés genoux du crucifié.
* même étroitesse du bois de la Croix.
*' présence au pied de la 'Croix 'limitée 'a 2 personnes : La Vierge Marie et Saint Jean.
En effet, les anciennes représentations du Calvaire montrent le plus souvent seuls au Pied de la Croix, les deux Etres que jésus a le plus aimés durant sa vie terrestre, à savoir sa Mère, bien sûr, et ausi "le disciple qui avait reposé sûr la poitrine de jésus":
A titre de référence, un vitrail du XII ième siècle qui orne la Cathédrale de Châlons montre, seuls au pied de la Croix sur laquelle expire Jésus, Marie et Jean qui assistent au supplice Autre remarqué qui rapproche ce vitrail de notre fresque : tous deux tiennent un livre. En outre, ils sont blonds tous les deux. Tous ces points peuvent également s'appliquer à la crucifixion déjà citée et datant de 1360... '
A la droite du Christ, Marié se tient debout, la tête recouverte d'un long voile de couleur jaune qui cache lés épaules et retombe sur sa robe qui a pu être représentée de couleur rouge. Ce voile qui est relevé pour s'accrocher à droite à la taille,' se termine par une traîne qui déborde sur
le volet' voisin.' On voit lé bout dés pieds. Le visage noirci par le temps laisse pourtant deviner la beauté des traits ainsi que leur expression pathétique. La tête est inclinée vers le sol. L'avant-bras gauche relevé se termine par une main ouverte à la hauteur de ('épaule, retournée et paume apparente, qui désigne et déplore l'irréparable forfait. La main droite sortant de dessous le voile étreint un livre à couverture rouge qu'elle présente au visiteur la tranche tournée vers l'avant. Deux mèches blondes s'échappent du voile et encadrent lé visage. La Mère de jésus paraît très jeune. Mais les peintres flamands l'ont toujours représentée ainsi.
De l'autre côté se tient jean, le disciple bien-aimé, vêtu comme Marié d'un vaste manteau drapé de couleur jaune lui recouvrant les épaules. Ce manteau est relevé et maintenu à la' taille du côté gauche. Il est par dessus une longue robe qui peut avoir été représentée de couleur rouge et qui laisse apparaître le bout des pieds. Il se tient debout lui aussi, la tête nue, le visage imberbe, ses longs cheveux blonds retombant gracieusement sur les épaules. Le bras droit est 'replié contré la poitrine,la main plaquée sur le coeur comme pour contenir une trop forte émotion. Dans sa main gauche lui aussi tient un livre, probablement figuratif de l' Evangile qu'il a écrit, la tranchè'égâlémént tour- née vers l'avant. Comme d'habitude, il a été représenté jeune.
Le nimbe qui auréolait sa tête, tout comme celui qui ornait celle de la Sainte Vierge, se distinguent avec peine aujourd'hui.

b)-: Le Volet situé à la droite du CHRIST : il représente un personnage auréolé vêtu d'un ample manteau sans plus aucune couleur apparente à ,présent. Le pan gauche est relevé et accroché à la taille. Ce manteau recouvre une longue robe jaune qui laisse seulement apercevoir les bouts de chaque, pied. La main droite du personnage est fermée mais l'index est pointé pour désigner au visiteur un objet qu'il tient sur sa main gauche ouverte, la paume en l'air, pouce apparent. . Il tient cet objet précieusement calé contre sa poitrine. II est très effacé aujourd'hui, mais on distingue encore très bien l'auréole qui l'entoure, ce qui est un indice, important : il s'agit bien sûr du SAINT GRAAL dont la légende remonte au XII ième ou au XIII ième siècle. II faut bien se rappeler que dans le poême. médiéval "La Queste du Saint Graal" , composé vers 1220, l'idéal religieux de l'Ordre de Citeaux dominait largement. Plus récemment, l'écrivain Henri Vincenot, dans son roman "Les Etoiles de Compostelle", page 56, fait dire à son "Prophète" en parlant de Bernard de Fontaine :
"Ce n'est pas pour rien qu'à l'heure qu'il est, un clerc champenois, formé à la grande école spirituelle de Bernard de Citeaux, est en train de composer ' LA QUES.TE DU SAINT-.GRAAL
Bien sûr, c'est une interprétation personnelle des faits, mais il n'empêche que la réalité historique est bien prouvée. Et c'est le message qu'a voulu transmettre l'auteur de la fresque.
Du coup, l'identité du personnage ne présente plus aucun mystère. II ne peut s'agir en effet que de joseph d' Arimathie, le Sanhédrin, celui-là même qui réclama et obtînt de Ponce Pilate le cadavre de jésus mort sur la Croix, pour le déposer dans un tombeau neuf que Joseph d' Arimathie avait fait préparer pour sa propre, sépulture,. après avoir sommairement lavé le corps du supplicié, aidé par Nicodème. , , .
Selon la légende du Saint Graal, il recueillît dans le vase qui avait servi à jésus à faire communier les Apôtres tors du dernier repas en leur disant, "Buvez car ceci est mon sang...", le sang qui s'écoulait de la plaie au côté infligée à jésus par la lance d'un soldat.
La tête de joseph d' Arimathie est recouverte d'un long châle défait - signe de deuil chez les juifs - de couleur jaune à rayures longitudinales rouges, d'inspiration très hébraïque. Le visage s'orne d'une longue barbe qui se divise en deux pointes séparées. On voit que le personnage est âgé.
c)-: Le Volet situé à la gauche du CHRIST : il représente un autre personnage auréolé et debout lui aussi, avec de longs cheveux blonds lui encadrant le visage et retombant sur ses épaules. II porte une barbe plutôt courte, à deux. pointes et lui. entourant la, bouche. Malgrè cela il ne semble pas âgé. On peut penser que la tête a été couverte d'une coiffure qui n'existe plus aujourd'hui mais qui devait être de forme assez étrange au vu du tracé qu'il en reste!
Sa main droite repose sur le noeud d'un bâton assez.long surmonté d'un pommeau rond en forme de boule. Comme le haut n'est pas recourbé en volute, il ne peut donc s'agir de la Crosse d' un Evêque...D' ailleurs la coupe de cheveux du personnage démontre qu'il n'est pas un écc{ésiastique
ni même un moine qui sont généralement représentés le crâne rasé et vêtus de la robe de bure... L` autre bout du bâton est ferré et repose sur le sol, près du pied droit du personnage. La hampe de cette longue canne est à bords parallèles et l'ensemble du bâton est de couleur jaune.
III fait surtout penser au "bourdon" des pèlerins tels que représentés dans la fresque des "Oeuvres de Miséricorde" due à l' Ecole de Ghirlandaio,datée du XV ième siècle et qui figure dans l' Eglise de San Martino del Buonomini, à Florence. On peut encore voir plusieurs de ces mêmes bourdons dans le rétable réalisé au XV ième siècle par. Hans Fries et qui se trouve au Musée Ratzé, à Fribourd, en Suisse et décrivant la séparation des Apôtres, après la mort de jésus, alors qu'ils vont entreprendre leur mission et aller, chacun de son côté, prêcher au Monde la "Bonne Nouvelle"
Chacun d'eux tient à la main un bourdon de couleur jaune, en tout point identique à celui sur lequel s'appuie le figurant de notre fresque.
Son vêtement diffère cependant de celui qui habille les autres personnages de la fresque. II ressemble à un vêtement guerrier du Moyen-Age et appelé "haubert". II est regrettable que toute couleur en ait disparu car la moindre teinte eût aidé à mieux identifier cette "cotte de mailles". Elle est fendue devant de chaque côté pour faciliter la tenue à cheval et tombe un peu au-dessous dés genoux. Elle recouvre une robé de couleur jaune qui tombé tout droit et presque sans pli jusqu'au sol, ne laissant découvertes que les pointes des pieds.
. La main gauche surgissant de dessous ce qui semble être une capé, présente un livre fermé la tranche tournée vers l'avant.
Ce personnage dégage une impression de majesté par son maintien altier et martial, son allure décidée et même ûn peu provocante ... Qui peut-il bien être?
Une rétable de Robert Campin (1375-1444), le "Mariage de la Vierge", peint vers 1420 et qui se trouve actuellement au Musée du Prado, à Madrid, comporte au dos une statue simulée en grisaille qui représente Saint Jacques le Majeur. Elle n'est pas sans rappeler notre personnage.
En outre :
* sur la fresque, il est près dé St. Jean. Or Jacques le Majeu.- est le frère aîné de jean l' Apôtre:
l' Abbaye de La Bénisson Dieu était une étape connue des pélérins qui allaient de Vézeiay à Saint Jacques de Compostelle. Dans le même livré déjà cité d' Henri Vincenot le fait est rapporté à la page 230.
sur la fresque le personnage semble relativement jeune. Or Jacques a été décapité à Jérusalem en 44 après J.C. On estime que Jésus est vraisemblablement mort en l'an 28, à 33 ans. Comme Jésus et Jacques avaient à peu près le même âge, à sa mort, Jacques avait tout juste 50 ans. Sur la peinture if a été représenté à sa quarantaine...
son air martial et son vêtement guerrier il les doit à ce que les Espagnols l'ont toujours représenté à la tête de leurs troupes pour conduire la "Reconquista". C'est ainsi qu'il a gagné son titre de "Matamore" qui, traduit littéralement, signifie "le tueur de Maures". II faut se rappeler que les Moines Cisterciens ont joué un rôle important dans cette guerre contre les Arabes et que c'est justement l'un d'eux qui fonda en 1158 I' Ordre Religieux et Guerrier de "Calatrava"; du nom de cette ville repise aux envahisseurs musulmans en 1154.
son bourdon pour rappeler le miracle qu'il fît pour étancher sa soif alors que des mécréants le brutalisaient. En effet, Jacques de Voragine stipule dans sa "Légende Dorée" composée au Xlll ième siècle : "il frappa la terre de son bâton et dans l` instant il surgît en ce lieu une rivière capable de faire tourner un moulin..."
le livre que notre personnage tient à la main indique sa mission de prêcher la parole Evangélique. St. Jacques le Majeur est très souvent représenté, tenant un livre
enfin, la coiffure étrange dont il a été question plus haut correspond tout à fait au large feutre avec lequel les imagiers le représentent toujours, le bord frontal relevé et orné d'une ou de plusieurs coquilles, symboles du fameux pélerinage. L' église d' Issy l' Evêque,' en Saône-et-Loire, contient une statue typique de Saint Jacques le Majeur.
Cette longue liste d'indices tend bien à prouver que c'est sans aucun doute ce Saint Jacques que notre fresquiste a voulu faire figurer dans sa représentation picturale.
Reste à savoir pourquoi avoir justement choisi Saint Jacques le Majeur? L' Abbé de La Bénisson Dieu à l' époque où la fresque fût peinte était-il Espagnol? Etait-il un fervent du pélerinage de Saint Jacques de Compostelle ? Etait-il titulaire de I' Ordre de Calatrava? A moins que ce n'ait été le cas du bienfaiteur qui commanda la fresque? Ou bien encore -le fresqiste lui-,.. même? Qui le dira jamais...?
Une autre remarque pour constater que le peintre s'est évertué de toute évidence à -créer; une symétrie entre les deux personnages latéraux et la scène centrale de la ,crucifixion. En effet, tous deux portent le poids de leur .corps sur le pied qui se trouve le plus près de la Croix,' l'autre
pied. paraissant juste effleurer le sol; comme si, tous deux et d'un même élan, avaient cherché à se-' rapprocher du Christ.
Par ailleurs il appert aussi que. chacun. d'eux est considérablement grossi par rapport à l' échelle adoptée qui servît de base pour dessiner les personnages du volet central. On peut s'interroger sur cette différence de proportions certainement recherchée, car la place ne manquait pas -au peintre pour conserver des proportions uniformes. 11 est vraisemblable qu'il a voulu insister sur l'enseignement que ces deux personnages étaient censés apporter. Les contemplateurs de la fresque devaient retrouver le message induit par la geste des personnages représentés, d'où le grossissement de leur taille respective par rapport aux autres personnages: II faut bien reconnaître qu' à cette époque, les fresques représentaient les seuls livres accessibles pour beaucoup de gens !!
II est amusant de noter en passant que -cette différence de proportions avait même fait croire à l'auteur du dessin de 1992 dont il a été question à la première page, que ta Vierge et Saint Jean avaient été représentés ployant le genou ! Ce qui n'est bien sûr pas le cas comme le démontre aujourd'hui la fresque presque retrouvée !
11 - : PARTIE INFERIEURE DE LA FRESQUE :
Sous la partie inférieure de la bordure d'encadrement de la fresque qui vient juste d'être décrite et sous le listel délivrant un illisible message, la peinture murale se continuait autrefois, Aujourd'hui, elle se trouve d'une part divisée par la pierre tombale dressée au beau milieu de la fresque au siècle dernier, laquelle ne devait pas être très apparente à cette époque, et d'autre part détruite au cours de la malheureuse opération de mise en place de la pierre tombale, du fait de la dégradation de l'enduit sur lequel elle était peinte.
La partie peinte à cet endroit mesurait initialement 3 mètres de large sur 1 mètre 30 de hauteur. II n'en reste plus aujourd'hui que la partie supérieure moins 1 mètre 20 au centre, représentant la largeur de la pierre tombale.
En bref, lorsqu'on se tient face à la peinture, il reste, à gauche, un espace peint de 72 centimètres de large sur 35 centimètres de haut environ et, de l'autre côté, à droite, de 82 centimètres de large sur 39 centimètres de haut. Soit en gros le huitième de la peinture originale du bas de la fresque!
On peut à nouveau diviser la description de cette autre partie en deux paragraphes, soit un pour chacun des espaces délimités ci-dessus,
a)-: Partie gauche quand on se tient face à la pierre tombale :
On devine plus qu'on ne voit vraiment; la tête et la moitié du buste d'un personnage blond tourné de trois-quarts vers le visiteur et montrant donc une partie de son dos à la fresque. . La tête est coiffée d'une mitre dont la forme basse est caractéristique du XIII ième siècle. Les épaules sont couvertes d'une lourde chape de cérémonie, à moins qu'il ne s'agisse d'un camail d' Abbé, dont le fermoir transversal est nettement visible. Sa main droite est levée, le pouce dressé, ainsi que l'index et le majeur qui sont joints. L'annulaire et l'auriculaire sont fermés et repliés sur la paume de la main. C' est le geste classique de la bénédiction. Moins souvent celle du prêche...
Au-dessous, le reste de la peinture apparaît, hélas, irrémédiablement détruit.
A droite; derrière le personnage, et se poursuivant dans son dos, on peut 'voir des alignements de trois rangées de six carreaux chacune, comme si le personnage se tenait debout devant un vitrail ou une mosaïque. Deux au moins de ces carreaux ont pour motif de décoration une roue au : moyeu apparent duquel partent huit rayons. Les motifs des autres carreaux sont aujourd'hui effacés mais il est.facile d'imaginer qu'ils traitaient tous du même thème, qui n'est pas sans faire penser à celui qui décore la mosaïque de l'admirable mausolée de l' Impératrice Galla Placidia, à Ravenne, en Italie et qui date du V ième siècle. Le thème évoqué par cette mosaïque résume l'enseignement d' Aristote, lequel est basé sur la position des étoiles. Or justement ces étoiles sont aussi représentées par des roues à huit rayons ! Coincidence ? Dans l'affirmative elle est troublante.:.
Ce thème est contenu dans le 'Livre de la Sagesse', chapître 7; versets 17 à 21:
17-: C' est lui qui m'a donné la véritable connaissance de ce qui est afin que je sache l'ordre du Monde et les vertus des éléments,
18-: le :commencement; la fin et le milieu des Temps, la raison de toutes choses, la variation : des mouvements, la division du temps,
19-: la course de l'année, la position des étoiles,
20-: la nature des animaux, les colères des bêtes sauvages, la force des vents, la pensée des . hommes, la différence des arbres et les vertus des racines.
21-: Tout ce qui est caché et se manifeste soudain je ('ai appris; car la Sagesse, ouvrière de toutes choses, me l'a enseigné!
Cette interprétation est très plausible car elle correspond à la philosophie de Saint Bernard et il est tentant de mettre ces versets dans la bouche de l' Abbé qui prêche dans cette partie de la fresque et qui est peut-être Saint Bernard lui-même, et de l'imaginer en train de communiquer sa connaissance aux Moines groupés devant lui....... ainsi qu'aux visiteurs que nous sommes...
b)-: Partie droite quand on se tient face à la pierre tombale :
Là on distingue très nettement un écu de forme ancienne, c'est-à-dire en "tiers-point" avec les côtés arrondis et, convexes -se rejoignant en pointe et tel qu'il, était d'usage de tes représenter aux XIII ième et XIV ième siècles.
A compter du XV ième siècle ils deviendront de forme plus rectangulaire avec les bords latéraux parallèles jusqu'au deux-tiers de la hauteur:
L' écu était surmonté d'un "cimier" méconnaissable aujourd'hui. Ce qu' if en reste fait penser à un chapeau ecclésiastique.
Les "armes" qu'il figurait sont dites "mi-parti", c'est-à-dire que l' écu est divisé verticalement en deux moitiés égales mais dissemblables.
Celle de droite, pour le héraut qui le lit et se tient derrière pour le présenter, est totalement illisible actuellement. Toute interprétation relèverait de l' imagination la plus débridée !
Par contre, l'autre moitié se trouve être en un peu meilleur état: Elle semble composée de huit "bandes" à moins encore qu'elle ne soit "coticée en bandes". Ce qui revient à dire qu'elle paraît composée de huit diagonales de couleurs alternées allant de gauche à droite et du haut vers le bas
dans le premier cas, ou d'au moins dix de ces mêmes diagonales dans le second.
Les "émaux"ou couleurs,de ces "bandes" paraissent avoir été "sable" (noir) sur un "champ" (fond) d'argent. Mais aucune certitude ne peut être acquise à ce sujet, d'autant que les couleurs qui apparaissent aujourd'hui peuvent fort bien avoir été dnaturées par le temps et l'humidité comme ce
fût le cas pour le rose dés visages devenu tout noir !
A droite de l'écu armorié existe un grand espacé vidé de couleur rouge,au bas duquel se devine les trois-quarts d'un cercle qui paraît trop petit pour avoir représenté une auréole de Saint.
Par contre, ce pourrait très bien être le contour de la tête d'un nouveau personnage, tournant lui aussi le dos à la fresqué;les cheveux bouclés et coupés assez court. On devine encore au-dessus des épaules une sorte de col de vêtement.
fresque ?
Serait-ce la représentation d'un Bienfaiteur ? Peut-être du mécène qui commandita
La peinture murale s'arrête là, abruptement. Toute la partie inférieure a disparu à jamais avec l'enduit sur lequel elle avait été peinte. A peine distingue-t'on un peu plus bas quelques traces colorées et notamment de gros traits noirs et horizontaux. Un autre trait, vraiment récent celui-là,
au crayon, marque la limite extrême où s'arrêtait la fresque.
III - : TENTATIVE DE DATATION :
II est bien évidemment regrettable que les armoiries de l' écu ne soient plus lisibles car en les déchiffrant on aurait pu avancer une datation précise. Ce sont en effet vraisemblablement celles -du bienfaiteur qui commanda la fresque. II est cependant possible d'affirmer avec le peu qui en reste que ce ne sont pas celles de Ia Famille de ta Fin; elles ne paraissent pas davantage pouvoir appartenir aux de Lespinasse. En effet, les blasons de ces deux familles sont bien connus. Ils figurent d'ailleurs tous deux à l' intérieur de l' Eglise.
Pourtant, si nous réunissons tous les éléments relevés au fil de l'étude afin d' essayer de suggérer une date de facture, nous trouvons pour ce dessein :
le nombre de clous utilisés pour le crucifiement 'qui se limite à 3 depuis le XI ième siècle, la représentation au pied de la Croix dé seulement Marie et jean selon la pratique courante aux XII ième et XIII ième siècles,
la forme de la mitre de l' Abbé qui indique lé XIII ième siècle,
la similitude des colonnettes avec celles du Psautier de St.Louis terminé au XIII ième siècle le pagne cachant ta nudité du Christ dont la longueur caractérise les Xlfl ième et XIV ième siècles,
la forme en tiers-point de l' écu, courante aux XIII ième et XIV ième siècles.
la similitude de dessin et de facture avec une crucifixion peinte au XIV ième siècle, la forme tryptique de la fresque devenue courante à compter du XIV ième siècle, l'utilisation par le peintre d'une peinture à l'oeuf, usuelle jusqu'au XIV ième siècle, enfin diverses références - dont l'avis de M. Déchelette - favorables au XV ième siècle.
I) serait tentant, voire flatteur pour l' Abbatiale, de retenir la date du XIII ième siècle. Mais il paraît plus réaliste d'avancer plutôt celle du XIV ième au mieux et ce, en fondant notre raisonnement sur ce que nous connaissons des us monastiques des Cisterciens.
En effet, à la fin du XIII ième siècle l' Abbaye aurait eu à peine cent ans d' âge. Comment alors imaginer qu' un Abbé, encore si proche de fa date de fondation ait tolèré un tel manquement à la Règle de Stricte Observance qui avait été la raison même de la création du mouvement cistercien, en permettant à un peintre, si génial fût-il, de réaliser une oeuvre picturale et décorative à l'intérieur même de l' Eglise où pas un seul chapiteau n'avait été orné de la moindre sculpture par respect justement pour cette Règle ? C' est ce type de décoration que Saint Bernard abhorrait et qu'il reprochait sévèrement à Cluny ! II avait été jusqu' à bannir l' édification de clochers ! C' est dire !
II n'est qu' à contempler l' humble pierre tombale de l' Abbé Bernard de Rochefort dont il a été question au début et découverte il y a seulement quelques années. Cet Abbé décéda vers 1272.
On se rend bien compte qu' à son époque la moindre peinture à !' intérieur du Sanctuaire était totalement inconcevable. Qu'elle eût représenté de surcroît une incongruité pour ne pas dire un véritable blasphème.
Par contre, quelques cent années plus tard, l' Abbé Jean II, successeur d' Aymon et prédécesseur de Thomas Lessent, verra sa propre pierre tombale, retrouvée il y a peu en même temps que la précédente, non seulement ornée de sa propre image de pied en cap, revêtue d'un somptueux habit de cérémonie, étole au cou et crosse en main, mais encore décorée d'angelots balançant des encensoirs, de lions couchés au pied de l' Abbé et autres fioritures. Or cet Abbé mourût en 1365...
L' austère simplicité, la modeste facture, de la première dalle, comparées à la richesse de dessin et à la vaniteuse ornementation de la seconde, montrent assez qu'il s'était passé quelque chose d'important entre ces deux dates séparées de moins d' un siècle et qu' un fort assouplissement de la. Règle était venu tempérer la discipline de vie.et de moeurs de nos Moines !
Si donc une fresque murale à l' intérieur de l' Eglise était inimaginable en 1272, elle paraît tout à fait concevable en 1365, si l'on se fie à l' enseignement prodigué par les deux pierres tombales ci-dessus que l'on peut étudier tout à loisir aujourd'hui dans le musée lapidaire situé dans
la première travée du collatéral gauche de l' Eglise. .
Soit. Mais alors pourquoi avoir choisi de placer cette splendide crucifixion tout au bas de la nef ? Pourquoi ne pas lui avoir consacré la place qu'elle méritait de droit dans te. Choeur même de l' Eglise comme n' hésitera pas à le faire quelques deux cent cinquante années plus tard Françoise de Nérestang, 1 ère Abbesse du Couvent lorsqu'il fût devenu une Abbaye de Dames et quand elle voulût placer le rétable qui avait été exécuté sur son ordre et orné de ses "Armes" ?
La seule explication plausible est que le Monastère a commencé d' accepter dès le XIII ième siècle !a fréquentation et le patronnage de Seigneurs laïcs qui venaient assister à certains offices et qui, tout naturellement, souhaitaient élire le Couvent comme lieu de leur sépulture. Et comme tous,tel cet Humbert de Lespinasse, se montraient au demeurant de généreux donateurs, comment l' Abbé en titre aurait-il pu leur refuser ce privilège sans risquer de priver le Monastère de cette si nécessaire et importante source, de revenus ? II ne restait donc comme solution qu' à leur concéder le bas de la Nef pour pratiquer ces funèrailles en y créant une Chapelle Funéraire dans laquelle une représentation de la crucifixion était vraiment toute indiquée.
Ceci expliquerait du même coup la présence des blasons peints à même la pierre du linteau du porche d' entrée de l' Eglise, dont celui, à droite, d' Humbert de Lespinasse, dont la date du décès - 1300 - pourrait plus ou moins coincider avec le commencement de cette coutume. Ceci pourrait encore contribuer à accrèditer la tradition orale et locale qui prétend qu'un cimetière se soit jadis trouvé sous l'emplacement de l'actuel, parvis de l' Eglise. Sans doute que des fouilles menées à cet endroit permettraient d' étayer cette hypothèse:
Comme les Moines étaient logés de l' autre côté, au Nord, et qu'ils pénétraient dans le Sanctuaire directement du.cloître dans le Choeur, cette concession au Monde et aux. besoins matériels ne pouvait en rien troubler la tranquillité de leur vie religieuse ni leur soif de recueillement. Quant
à la peinture murale ainsi soustraite à. leurs regards, elle ne pouvait en aucune façon distraire leurs saintes méditations.
Après tout, des concessions en ce sens avaient déjà été faites en tolèrant des sépultures de Seigneurs de haut lignage dans le cloître et dans la salle capitulaire.. Mieux valait concéder un nouvel emplacement hors les murs du Couvent plutôt que de généraliser la pratique à l' intérieur !
IV - : CONCLUSIONS :
Pour clore cette longue étude, il faut bien reconnaître que cette peinture murale qui vient d'être rendue à l'admiration méritée des visiteurs grâce à un louable et généreux effort financier de la Région avec la participation de la Commune, est l' oeuvre d'un artiste inconnu doué d'un immense talent et on est en droit de se demander comment il est possible qu'un aussi modeste Monastère, caché loin des rumeurs du monde et enfoui au plus profond des bois, ait pu abriter dans ses murs un peintre aussi remarquable, maîtrisant aussi parfaitement son art, preuve d' une longue et solide expérience, doublée d' une connaissance approfondie des Maîtres, des peintures existantes, des lieux où se déroula la Passion du Christ et des évènements qui entourèrent cette dramatique circonstance ?
Et tout cela sans transmettre le moindre nom, la moindre tradition, le plus modeste indice qui nous mettrait sur la voie de sa découverte ?
Faut-il en conclure que ce peintre, à force de se consacrer à réaliser un peu partout des oeuvres pieuses ait fini par être gagné par la Foi et touché par la Grâce et qu'il ait décidé de venir terminer sa vie loin du monde et de ses vains tracas. II aurait alors choisi l' humble Monastère de
La Bénisson Dieu comme ultime retraite, où il aurait réalisé, pour notre plus grande édification sa dernière fresque ?
Si c'est vraiment le cas, il conviendrait de retarder encore un peu la datation de son oeuvre pour la situer vers la fin du XIV iéme siècle, voire même au tout début du XV ième car ce seraient alors son âge et ses techniques anciennes qui feraient paraître la fresque un peu plus vieille qu' elle ne le serait en réalité.t
Nous n' en saurons sans doute jamais plus et cela restera le secret du peintre et de son oeuvre. Pour le moins sachons lui rendre un hommage tardif mais profondément sincère en venant admirer sans retenue sa remarquable réalisation et souhaitons que la postérité reconnaisse bientôt en lui le "Maître de La Bénisson Dieu". 11 a bien certainement mérité ce titre...
On peut encore supputer que cet artiste était originaire du Nord de l' Europe, très vraisemblablement des Flandres, et donc du Duché de Bourgogne, car tous les personnages qu'il a représentés sont blonds. Aucun n' a le type latin, malgrè le lieu géographique où se déroula la scène.
II convient en effet d' admettre que la fresque est bien plus d' inspiration flamande qu' italienne du fait de la timidité de la perspective utilisée. En outre, la plastique des personnages en place, notamment celle du Christ dont la nudité permet de mieux la remarquer, est loin d' atteindre la rigueur anatomique des Maîtres Toscans.
Par contre l'ensemble exhale toute la sensibilité des Maîtres Flamands. Par ailleurs les thèmes utilisés démontrent que l' artiste possédait une érudition profonde quant à l' histoire et à la tradition cisterciennes.
Un Maître Flamand devenu Moine en l' Abbaye de La Bénisson Dieu ? Après tout, pour quoi pas ?


(Seconde version - Corrige et remplace celle datée du 2 Juin 1998)
Daniel M. Lacour, La Teyssonnière, ce 25 Juin 1998

Abbaye de La Bénisson-Dieu par Dominique Belling