Abbaye royale de La Bénisson-Dieu
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Mise à jour
Un graffiti historique
Méfaits des guerres de religions

L'ABBAYE ROYALE de LA BENISSON D I E U

Un graffiti original du XVIième siècle ou l'histoire d'un amour espagnol
a v e c
un récit des méfaits des guerres de religion
au Monastère de La Bénissondieu
Une recherche réalisée par Daniel M. Lacour

II n'est pas besoin de creuser beaucoup ni longtemps pour retracer l'histoire de l' Abbaye Royale de La Bénisson Dieu, tant les détails de son odyssée à travers les siècles sont restés profondément inscrits dans toutes les mémoires régionales. D'ailleurs, son passionnant parcours a fait l'objet depuis
des temps déjà fort anciens de nombreux écrits, tous plus savants et documentés les uns que les autres L'incroyable réside dans le fait qu'il reste toujours quelque chose à découvrir dans une épopée aussi fertile en événements comme celle qu'a vécue cette belle Abbaye Cistercienne, pour peu qu'on prenne le temps de regarder les quelques pierres rescapées des nombreuses démolitions qui se succédèrent au cours des siècles et jusqu'à récemment encore,et qui restent les témoins discrets mais bien réels d'un passé qui,bien qu'à jamais révolu,se retrouve néanmoins dans bien des page de l'Histoire de France!
Toutefois,pour bien saisir la narration qui va suivre,on va devoir une fois de plus subir le rappel tant de fois évoqué des diverses époques qu'a traversées cette Abbaye depuis sa fondation, au Xllres.
jusqu'aux guerres de religion du XVlres. qui,en fin de compte,la ruinèrent bien plus totalement que ne pûrent 1e faire les débordements de la Révolution de 1789! Mais ce survol historique sera succinct! Comme tout un chacun le sait maintenant de façon catégorique, l'Abbaye de La Bénisson Dieu fût fondée par Albéric,son premier Abbé, fidèle disciple et ami du grand Saint Bernard,le 29 Septembre de l'Année 1138,1a seconde du règne de Louis VII dit"Le Jeune". Ce monastère voulût être dès le début un regroupement d'hommes bien décidés, sous la Crosse du Saint Abbé de Clairvaux, à restituer la Règle de Stricte Observance, plutôt négligée du fait de l'enrichissement des Monastères en raison des dons généreusement accordés par les Seigneurs qui partaient en Terre Sainte. Cluny bien sûr était l'exemple à ne pas suivre! Et tous les Moines qui s'étaient succédés jusqu'alors à La Bénisson Dieu et durant plus de trois cent vingt cinq ans s'étaient appliqués à scrupuleusement respecter la vieille Règle des origines monacales dans la plus stricte obéissance,en toute humilité et grande modestie.
Puis vînt le XV ième siècle qui inova le désastreux système de la commende grâce auquel un Seigneur, même Iaïc,se voyait octroyé par faveur royale,le droit de jouir des bénéfices d'une Abbaye sans pour autant être tenu d'y résider ni même d'y jamais venir!Dans le cas de La Bénisson Dieu,ce fût Pierre de La Fin qui y avait fait son noviciat avant d'en devenir l'Abbé Régulier. Mais sa nomination comme Abbé de Pontigny en 1496 l'obligea à partir pour son nouveau Monastère tout en restant Abbé Commendataire de La Bénisson Dieu.Avant cela, poussé par les circonstances du moment et parl'évolution inévitable des moeurs de vie,et aussi aidé par sa fortune personnelle,il décida de mettre au goût du jour et de la mode les moyenâgeux batîments romans du Monastère. La discipline se ressentît de cette modernisation. bien évidemment les Moines du Couvent se laissèrent aller à adoucir quelque peu leur austère vie monacale et l'observance de la Règle claustrale originelle en souffrït! Le nouvel Abbé entreprît donc les reconstructions et aménagements que l'on connaît par le dessin qui se trouvait dans une sacritie et qui date de 1646. II renforça entre autres choses les solides fortifications déjà existantes. II fît aussi ériger le fameux beffroi encore bien arrogant aujourd'hui. Les travaux durèrent de sa nomination, vers 1460, jusqu'à son départ pour Pontigny où il mourût en 1504.
Puis lui succèda une série d'Abbés, commendataires tout comme lui, mais qui, contrairement à son exemple, ne résidèrent jamais à l'Abbaye, se contentant de prélever pour leurs besoins propres le plus clair des revenus du Monastère et ne laissant à celui-ci que la portion la plus congrue,ce qui eût
pour conséquence directe de le vider peu à peu de ses moines qui non seulement ne parvenaient pas à entretenir les batîments mais n'arrivaient même plus à subvenir à leurs propres besoins!C'était donc risquer le pire que de laisser ainsi,pour ainsi dire inhabitée,une propriété de cette importance riche des trésors accumulés au cours des siècles précédents,aussi bien en mobilier qu'en précieux objets du Culte, voire même en armement comme il sera découvert plus foin!
Or c'est à ce moment justement qu'éclatèrent les guerres de religion,qui débutèrent,on s'en souvient,en 1562,et qui connurent leur paroxysme à compter de l'horrible massacre de la St.Barthèlemy, dans la nuit du 23 au 24 Août 1572. La paix civile ne reviendra en France qu'à partir de 1598 avec l'Edit de Nantes. En attendant,les rapports entre Catholiques et Protestants empirant,il fût décidé de la fondation de la Ligue en 1576. La région alentour fût aussitôt mise sous son illusoire protection car nombreux étaient les Protestants dans le Comté de Forez qui tenaient bon nombre de places fortes et solidement retranchées. Mais le remède qu'offrait la Ligue s'avéra bientôt pire que le mal! Ce qui fût aussi le cas ici! En effet, sous couvert d'empêcher les Protestants de s'emparer du Monastère,le soidisant ligueur Fretey d'Apchon,issu d'une vieille famille noble d'Auvergne,s'en saisît par vile traîtrise au début de l'année 1594 et l'occupa pendant de longs mois, c'est-à-dire durant tout le temps qu'il lui fallut pour le piller et le vider de ses biens qu'il s'appropria sans vergogne! II faut dire que cette époque fît le bonheur des profiteurs qui étaient nombreux! Il y en avait bien sûr dans les deux camps!
Son méfait est bien sûr connu. Toutefois il est peut-être bon de profiter ici de l'occasion pour rappeler le procès-verbal dressé environ un an après les faits par l'Abbé Pierre Pomyers, Curé de Saint Germain Laval,lors de sa visite archipresbytérale, car son récit n'a pas souvent été conté! II est fort édifiant et plein de détails pittoresques!De plus il va s'avérer important vers la fin de l'histoire pour saisir une subtilité écclésiastique historique! II a été traduit en français moderne :
"Ce mardi 27 Août de l'an 1596 avant midi,au lieu de La Bénissondieu devant le porche d'entrée de l'Abbaye, assisté des susnommés et en vertu de l'arrêt de la Cour et selon le mandement que nous a donné Monseigneur l'Archevêque de Lyon,nous nous sommes présentés pour visiter l'Abbaye et son Eglise où nous avons rencontré les vénérables Frères Dom Gilbert Oliard, Prieur de l'Abbaye, Etienne Bouchant, sacristain, André Roure et Jean Beauchant,religieux,qui nous ont présenté leur Abbaye comme dépendante de l'Abbaye et Ordre de Citeaux et soumise à la Règle de St.Bernard,en nous précisant qu'ils avaient présentement la visite de Monsieur l'Abbé de Citeaux et de son vicaire qui effectuaient leur tournée d'inspection et que pour cette raison il leur était impossible de nous laisser entrer.
Toutefois,en raison de l'arrêt de justice, ils ne désiraient pas entraver ma mission d'information quant à l'usurpation des lieux et les dommages causés à cette Abbaye par le Sieur de Fretey,ses affiliés et complices,afin qu'un rapport soit établi pour être remis à la Cour.Je pris donc acte du refus de visite et des autres remarques en présence de Messieurs Joseph Bertrand, Procureur d'office, Antoine Dureiz,greffier,tous deux exerçant au dit lieu et qui se sont soussignés avec nous. Aussitôt nous avons pénétré dans l'Abbaye pour constater sa ruine et en certifier la Cour.D'abord l'Eglise que nous avons effectivement trouvée ruinée ainsi que l'Oratoire dont toutes les portes de même que celles du Choeur,les sièges du Choeur,les portes de la Sacristie et du Vestiaire,ont toutes été emportées. Les deux clochers habituellement recouverts de plomb ont été détruits en grande partie et découverts pour s'emparer du plomb et le dérober. De là nous nous sommes rendus dans le logis abbatial qui est aussi en ruine du fait que la plus grande partie des planchers a été arrachée. Les portes et fenêtres ont été enlevées ainsi que les barreaux et grillages métalliques qui les protègeaient. Plus aucun meuble ni équipement,soit châlits, tables, pots de fer et landiers qui ont été arrachés et dérobés. De la maison abbatiale nous sommes ensuite passés dans le réfectoire des religieux,puis dans leur dortoir et dans les autres pièces mises à leur disposition pour leur usage quotidien. Le réfectoire était totalement dévasté, sans plus une seule table ni landier de fer, plus de buffets ni de bancs ni aucun autre accessoire nécessaire à l'usage des religieux; le dortoir saccagé sans plus ni portes ni planchers non plus que les barreaux et grillage des fenêtres du dortoir. De même dans toutes les autres pièces qui ont été trouvées également saccagées et détruites. En vérité cette Abbaye a été réduite en une véritable ruine!
Ensuite nous avons interrogé les religieux dénommés plus haut, individuellement et séparément. Nous fîmes de même pour Messieurs Bertrand et Durey ainsi que Messieurs Philibert Millet,charpentier, Claude de Vaulx,forgeron et jean Rivière, notaire, tous habitant au lieu de La Bénissondieu,lesquels interrogés individuellement et séparément nous ont raconté que le pillage et sac des lieux étaient survenus depuis l'année passée 1594,vers la fin du mois de Février et au début du Carême,lorsque le Sieur de Fretey d'Apchon,accompagné d'un certain Sieur Buisson de la Motte et de quelques soldats vînrent à la dite Abbaye sous prétexte de prendre des nouvelles du Prieur du Couvent, Dom Gilbert Limosin,qui était malade.lls investîrent alors l'Abbaye au cri de "Vive la Ligue!". Tout de suite après survînt un dénommé André de Mallet accompagné de son fils Jacques. Quelques temps plus tard arriva également un autre individu surnommé le Capitaine Rochefort. Tous ces gens avec les soldats de leur suite auraient tenu garnison à l'intérieur de l'Abbaye, défendant le parti contraire à celui de Sa Majesté durant 15 à 18 mois. Durant ce temps ils s'employèrent à ruiner l'Abbaye avec leurs complices en emportant ou faisant emporter tous les meubles et objets et la plus grande partie,selon la rumeur publique,füt emmenée et conduite au château de Montrenard! Même les landiers de fer ainsi qu'une grosse marmite de cuivre! Par la même occasion,le dénommé Rivière nous déclara que le Sieur de Fretey avait pris un certain soir,dont il ne se souvenait pas de la date exacte,ses boeufs et charrettes qu'il fût contraint de suivre afin de ne pas les perdre, pour conduire des "fauconneaux" destinés à la garde de l'Abbaye,au lieu de la Maison de Vaux.
Ils nous ont tous déclaré en outre que lorsque le Sieur de Fretey pénétra en l'Abbaye avec ses complices, celle-ci était en parfait état de bon entretien avec tous les meubles et objets nécessaires, aussi bien en ce qui concerne le logis abbatial pour le service de l'Abbé que le dortoir pour l'usage des religieux. Et lorsque les dénommés Mallet père et fils qui fûrent les derniers à déguerpir eürent remis l'Abbaye entre les mains du Sieur de Murles,celle-ci fût trouvée ruinée et entièrement dévastée sans plus aucun meuble.
Ceci termine les déclarations des témoins qui ont en outre affirmé ne rien savoir de plus à ce
sujet et se sont soussignés avec nous,exception faite du dit de Vaux."
II est bon de profiter de l'occasion ainsi offerte pour préciser que le château de Vaux dont il a été question, se trouvait près de Saint Romain La Motte et appartenait en 1590 à Henri d'Apchon qui l'avait transformé à cette époque en une véritable forteresse pour y loger les bandes à sa dévotion et qu'il employait à combattre tantôt pour le Roi et tantôt pour la Ligue! Et que les" fauconneaux" dérobés étaient de petits canons destinées à tirer sur d'éventuels assaillants depuis les courtines. C'est donc la preuve que le Monastère n'était pas sans moyen de défense. Ne manquaient que les artificiers pour servir les pièces! De toute évidence les quelques Moines qui restaient au logis n'étaient pas des experts en arts martiaux!
Quant à Henri d'Apchon,il fût un des tout premiers seigneurs à se rallier à Henri IV,preuve qu' il n'avait pas la conscience très tranquille.D'évidence le pillage du Monastère de La Bénisson Dieu à son seul profit n'était pas l'unique ni le moindre des méfaits qu'il avait à se reprocher!
Pour ce qui est"du château de Montrenard qui subsiste encore près de Pouilly-sous-Charlieu, c'était un fief franc-alleu, c'est-à-dire que son propriétaire n'avait aucun devoir de vassalité. Le dernier châtelain qui en porta le nom fût Louis de Montrenard,fils de Guillaume et de Marguerite de Charlieu. II le vendît en 1549 à la famille d'Apchon. En 1594,1e propriètaire en était ce fameux Fretey d'Apchon qui entreprît de profiter de la guerre civile qui bouleversait la France et la région pour le meubler à moindres frais! En l'occurence,la Sainte Ligue lui fournissait une bonne occasion!
Mais revenons à ce procès-verbal qui fait clairement ressortir qu'avant ce brigandage l'Abbaye était florissante,sinon d'un point de vue purement religieux car vidée de la plupart de ses moines qui s'étaient enfuis,du moins dans un bon état de conservation et en possession de l'héritage accumulé au cours des siècles précédents. Par contre après le passage des pilleurs,elle se trouva entièrement dépossédée et dévastée. A tel point que les quelques Moines revenus timidement en fin d'année 1595 ne pûrent pas même y séjourner faute de pouvoir se garantir contre les intempéries! Comme indiqué plus haut,quelques mois plus tard, elle n'était plus habitée que par quatre ou cinq religieux effrayés!
Mais l'énigme qui se pose est que ce pillage en règle se soit déroulé du Carême de 1594 à l' Automne de 1595?Or le graffiti dont il est question et qui est encore très clairement lisible aujourd' hui,au dos du premier pilier après la Chapelle de Nérestang,donc dans le collatéral de droite,montre des dates de 20 années antérieures à ce méfait! En effet,cette inscription se présente comme suit:
157 III
ADLGAYIORE RVIP
157 IIIII 1574
On notera qu'une main maladroite et surtout indélicate a essayé, il y a peu, de transformer en"8"
le"7"de la première ligne. Les malotrus n'étaient pas une spécialité du XVlième siècle! Ceci dit,nous avons trois dates qui ne cadrent pas du tout avec l'occupation rapportée par le Curé Pomyers!
En effet: 1573 - 1574 et 1575 pour le graffiti et 1594 - 1595 pour le pillage! II y a effectivement 20 années qui séparent inscription et intrusion!
Mais avant de chercher une explication à cette énigme, essayons d'abord de décrypter l'inscription découverte sur ce pilier.ll est possible d'affirmer que ce message est authentique car la configuration
des lettres,et plus encore celle des chiffres est en tout point conforme à l'écriture du XVIième siècle. On peut sans difficulté admettre qu'on se trouve bien en face du genre de graffiti que la tradition militaire a coutume de graver sur bien des murs de villes de garnison! On peut déchiffrer assez facilement ce qui suit : 1573
ADLEAMORE RUIS 1575 1574
Le graveur était donc un hidalgo car,mise à part la langue utilisée, la signature ne laisse aucun doute à ce sujet: "Ruis" est un patronyme typiquement ibérique. Quant au prénom de la dulcinée,de toute évidence c'est "Adèle" qui se dit "Adela" en espagnol! Notre romantique amoureux, certainement plus habile au maniement de l'épée qu'à celui du stylet,du moins c'est ce qu'on lui souhaite,bien que ce voeu tardif n'ait plus vraiment d'importance aujourd'hui que son destin est depuis longtemps scellé, il a placé le "E" d'Adela après le "L" et utilisé le même "A" pour terminer le prénom de sa belle et commencer le mot exprimant son sentiment enflammé! L'épitaphe devient donc :
ADELA=ADELE (mon) AMORE=AMOUR (ton) RUIP=RUIS
Voilà qui semble très clair! Limpide même!Mais cela ne résoud en aucun cas le probléme précé'dent de la non-concordance des dates qui reste donc toujours obscur encore pour un moment!
Et d'abord,que venait faire un espagnol dans l'Eglise Abbatiale en 1573?Qui dit espagnol dit catholique! II ne peut donc s'agir d'une occupation abusive du Monastère par les" religionnaires" miais d' une garnison "papiste" préventive. Voilà un point acquis! On se souviendra que Philippe Il,le Roi très catholique d'Espagne,fils et successeur de Charles Quint,avait envoyé en 1559 des troupes en France afin de soutenir les Catholiques dans leur lutte contre les "Huguenots". Certains de ces mercenaires dûrent prolonger leur séjour en louant leurs services à qui pouvait en avoir besoin. La demande devait être assez forte en ces temps troublés!L'Abbé commendataire d'une Abbaye Cistercienne correspondait certainement au genre de clientèle recherchée par un mercenaire espagnol qui souhaitait bien naturellement respecter ses propres convictions religieuses.
En outre il convient de ne pas oublier que le massacre de la St.Barthélemy ne datait que de peu de mois.ll était donc normal- dë supposer que les Protestants ne laisseraient pas longtemps impunie cette tuerie.,-La-précaution élémentaire pour un Abbé bénéficiaire d'une riche Abbaye située dans une contrée peu sûre était certainement de la faire garder par une mince garnison qui aurait ses quartiers à l'intérieur des murs. A cette époque l'Abbé commendataire de La Bénisson Dieu depuis 1560 était Antoine de Senneterre,aussi Evêque de Clermont depuis1569. II connaissait bien la grande insécurité que faisaient courrir à la contrée les bandes entretenues sur pied de guerre par les religionnaires locaux qui mettaient en coupe réglée les Bourgs et Villages. Les ripostes menées par les Catholiques n'arrangeaient pas les choses car les deux partis se livraient à ces exactions sans souci de l'appartenance religieuse de leurs victimes. Tous en effet étaient à court d'argent et de vivres pour leurs troupes et ils faisaient butin de toute prise et feu de tout bois!
Rappelons quelques méfaits qui advînrent alors dans la région vers cette même époque :
*en 1567,le Sire de Poncenat, Seigneur de Changy appela à lui tous les religionnaires de la région et établît son quartier général à La Pacaudière d'où il organisait des courses dans les campagnes environnantes,brûlant les Eglises,abattant les Croix et volant tout ce qui pouvait faire argent afin de pouvoir payer ses mercenaires. II disposait de 3,000 hommes de pied et de quelques cavaliers.
*en juin 1570,1es Capitaines Briquemont et Clermont d'Amboise,tous deux religionnaires,tentêrent de surprendre Charlieu et l'Amiral de Coligny dans leurs sabots traversa Saint Symphorien pour arriver en face de Roanne,sur la rive droite de la Loire avec des intentions tout aussi malveillantes!
*en Février 1576,un corps de reîtres calvinistes allemands pilla et rasa le Prieuré de Marcigny en route vers Saint Germain Lespinasse et Saint Haôn le Châtel qu'ils voulaient assièger. Des suisses de la même troupe investîrent la même année le village du Crozet,non sans dommage pour les habitants, leurs demeures et leurs biens!
Toutes ces "camisades" avaient de quoi justifier la mise en place d'une garnison à l'intérieur des murs bien fortifiés du Monastère grâce à la précaution prise cent ans plus tôt par le Seigneur Abbé Pierre de La Fin,pour, sinon défendre, du moins décourager toute tentative d'assaut et de siège!
Après tout,une parente de l'Abbé du Iieu,Madeleine de Senneterre,veuve de Gui de Remiremont ne tua-t'elle pas vers cette époque et de sa main un certain Montai, lieutenant au service des Guise, qui tentait de prendre de force son château? Pourquoi, à l'instar de sa brave cousine,l'Abbé de La Bénisson Dieu n'aurait-il pas décidé de prémunir son bénéfice contre une telle mésaventure?
Mais dès la signature de l'accord de Champigny,en Novembre 1575,qui garantissait une trêve des hostilités de sept mois,ce même Abbé a pu estimer que la paix religieuse était proche et il a licencié la garnison qui représentait tout de même des frais importants. A cette époque il en coûtait 15 Livres-Or par mois et par soldat! La présence de ('énigmatique Don Ruis se trouve ainsi expliquée: il était dans la place en service commandé!Et l'inaction à laquelle il était contraint,ne pouvant sortir de l'enceinte fortifiée par crainte de mauvaises rencontres ou de quelque embûche ou traquenard, l'aura conduit à rêver plus que de raison à sa dulcinée dont il se morfondait! La cause est donc entendue!
Mais alors,comment est-il possible que 20 ans plus tard le successeur de l'Abbé Antoine de Senneterre ait laissé son Abbaye se faire surprendre aussi naïvement avec les conséquences que nous
connaissons maintenant et qui la laissèrent au dire du Curé Pomyers "ruynée et gastée"? Essayons d` abord de comprendre ce qui a pu inciter le Sieur Fretey d'Apchon,comme beaucoup de ses contemporains d'ailleurs,à se conduire comme il l'a fait envers l'Abbaye et de traiter la région comme s'il se trouvait en territoire conquis?
Le 22 Mars 1594 le Roi Henri IV entre à Paris. C'est un complot organisé par le Gouverneur de la capitale,le Comte de Brissac,qui lui en a ouvert les portes!Les Ligueurs se sont certainement sentis trahis de même que tous les Catholiques! On peut expliquer le coup de main mené contre l'Abbaye comme un acte de vengeance. Et surtout comme un moyen de se payer des frais engagés durant cette inutile campagne! La victoire d'Henri IV à Fontaines-Royales le 5 Juin 1595 et surtout son absolution par le Pape Clément VIII en Août de la même année,montrent à tous qu'il est temps de mettre bas les armes et d'aller se reposer sur ses terres et profiter des biens acquis durant cette triste période. La reconnaissance d'Henri IV- comme Roi de France par tout les Français après son abjuration prouve que l'époque des ëôûrses hasardeuses était bien passsèe! Même si on regrettait les profits du pillage!
Et pourquoi à cette époque l'Abbaye était-elle si peu protégée alors que 20 ans plus tôt elle contenait garnison?C'était simplement une question de moyens. L'Abbé Antoine de Senneterre était mort en 1584 dans la résidence d'été des Evêques de Clermont,à Beauregard. Le nouvel Abbé,Pierre d'Epinac,était aussi,et surtout, Archevêque de Lyon et fort occupé de politique. Du fait des importantes ponctions ordonnées par les Bulles qu'avaient fulminées depuis 1565, successivement les Papes Pie V et Grégoire Xlll,pour que l'Eglise vienne financièrement à l'aide du Roi de France,d'abord Henri II, puis Charles IX et enfin Henri III, dans la lutte contre la religion réformée, les revenus de l'Abbaye de La Bénisson Dieu avaient fondu comme neige au soleil.ll y eût des ventes de biens ecclésiastiques dans ce dessein de Novembre 1568 à Décembre 1570. L'état des finances de l'Abbaye en 1593 ne permettait plus de telles dépenses, d'autant que le nouvel Abbé, Pierre d'Epinac,pour fournir de telles subsides avait déjà mis en gage et même vendu plusieurs grands domaines appartenant à l'Abbaye. On peut penser que le dicton d'époque"pas d'argent,pas de suisses"qui s'appliquait aux soldats mercenaires originaires de ce Pays,était aussi valable pour les soldats espagnols! Quoi qu'il en soit les revenus de l'Abbaye ne permettaient plus de pourvoir à sa défense et les Seigneurs voisins qui le savaient bien en profitèrent pour la dévaster de fond en comble,ne laissant derrière eux que ruines et désolation.
Mais on peut être certain que la visite,un an après les faits,du bon curé Pierre Pomyers n'était pas aussi innocente qu'il y paraît! En effet,il dit qu'il est venu "en vertu .... du mandement envoyé par Monseigneur l'Archevêque de Lyon". Or qui était l'Archevêque de Lyon? Là est toute la question! Eh bien justement ce Pierre d'Epinac, également Abbé de La Bénisson Dieu,qui avait besoin d'un constat en bonne et due forme et d'un état des lieux précis pour se faire indemniser des dégâts subis par son Abbaye! On peut être certain qu'il parvînt à ses fins quand on sait qu'il en coûta 20 millions de Livres à Henri IV pour "récupérer" la France d'alors. Et comme il se doit,ce fûrent les bons contribuables qui payêrent la note!
Comment s'étonner que le coupable, le triste Sire Fretey d'Apchon, ne fût jamais inquiète pour son méfait? Tout simplement parce que tout le monde y avait trouvé son compte!Lui gardait les fruits de ses rapines qui l'avaient enrichi, l'Archevêque d'Epinac empochait des dommages de guerre qui le remboursaient des domaines qu'il avait été obligé de vendre ou de gager et Henri IV avait conquis la France ...Les contribuables? Oui,bien sûr...Mais qui s'occupa jamais de leur demander leur avis? II en était déjà ainsi en ce temps! II en a d'ailleurs toujours été ainsi...!
Mais nous voilà bien loin de Don Ruis et de sa tendre Adèle! II est bien certain que les considérations ci-dessus ne fîrent jamais partie de leurs soucis! II reste toutefois très étrange qu'une telle énigmatique inscription n'ait jamais eu l'heur,durant quatre siècles,de faire l'objet du plus mince rapport,de la moindre note ni remarque? Pourtant les historiographes ne manquèrent pas! C'est peut-être l'inconvenance d'une déclaration d'amour en un tel lieu qui les aura retenus....? '
On aurait pourtant aimé savoir si le brave Ruis avait enfin pu un jour retrouver la belle Adèle? Si ce noble défenseur de la foi catholique a finalement réalisé cet espoir, gageons que sa dulcinée se sera jetée dans ses bras en ne protestant pas!
Religion oblige!
Daniel M. Lacour

Abbaye de La Bénisson-Dieu par Dominique Belling