Abbaye royale de La Bénisson-Dieu
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L'archéologie et l'art à l'abbaye cistercienne de la Bénisson-Dieu

 

L’ARCHEOLOGIE A LA BÉNISSON-DIEU.

UNE FONDATION CISTERCIENNE EN ROANNAIS.

CONSTRUCTION DES GRANGES ET DU MONASTÈRE.

PLAN DES BATIMENTS CONVENTUELS.

FORTIFICATIONS DU MONASTÈRE.

L'ART A LA BENISSON-DIEU.

LE BAS-BRIONNAIS FORÉZIEN AU XIIe SIÈCLE.

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – ARCHITECTURE.

I- PÉRIODE ROMANE.

II. - PÉRIODE GOTHIQUE.

III. - XVIIe SIÈCLE.

IV. - TRAVAUX RÉCENTS.

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – MOBILIER.

I. - ASPECT INTÉRIEUR A L'ÉPOQUE ROMANE.

II. – MOBILIER.

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – DÉCORATION.

I – SCULPTURE.

II. – PEINTURE.

III. - PEINTURE SUR VERRE.

IV.-CÉRAMIQUE.

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. - TRESOR ET PIERRES TOMBALES.

PREMIÈRE PARTIE

L’ARCHEOLOGIE A LA BÉNISSON-DIEU

I

UNE FONDATION CISTERCIENNE EN ROANNAIS

 

ous sommes au XIIe siècle. La civilisation carlovingienne a été frappée par les dévastations normandes, par les violences d'une féodalité barbare, par l'affaiblissement du pouvoir royal. A l'approche de l'an mil, il semble qu'elle va périr.

Mais au milieu de 1a misère générale, en face de l'instabilité de ces temps si troublés, la grande voix de l'Eglise ne cesse de prêcher aux puissants et aux peuples le renoncement, la charité, le travail et la paix. Et cette voix est entendue.

Guillaume, comte d'Auvergne et duc d'Aquitaine, déclare, en tête de la mémorable charte par laquelle il fonde, en 910, l'abbaye de Cluny, qu'il entend se conformer, lui et les siens, à ces deux préceptes des Ecritures : Les richesses de l'homme sont la rédemption de son âme. - Faites-vous des amis parmi les pauvres. Il clôt ce solennel testament par ces fières paroles : « Fait publiquement dans la ville de Bourges [1]  ».

          Cet exemple est suivi, et de toutes parts, sur notre sol de France, dans nos provinces d'Auvergne, de Forez, de Lyonnais et de Bourgogne, s'ouvrent, pour les pauvres et pour les opprimés, des refuges plus paisibles, plus sûrs que le voisinage des forteresses féodales.

          L'institut monastique groupe, coordonne les forces vitales d'une société déréglée, et pour sauver la civilisation, ne redoutant ni menaces ni violences, il met résolument en pratique la loi chrétienne que résument les trois mots fameux de fraternité, égalité et liberté, dont il réalise l'esprit. C'est ainsi qu'il offre aux maladies de l’âme la prière et l'internelle consolacion, aux besoins de l'intelligence l'étude dans la cellule et dans l'école, aux souffrances matérielles l'aumône, au chômage de l'ouvrier, le travail, et l'hospitalité de jour et de nuit à la fatigue du voyageur. Par la vie commune du cloître, où ne pénètrent ni les privilèges de rang ou de fortune, ni les distinctions de serf ou d'homme libre, il détruit les haines, il réhabilite la dignité humaine méconnue. Et l'administration conventuelle, dont l'élection forme la base. contient en germe l'organisation des municipes, la liberté des communes.

Mais ces institutions de moralisation et de réforme sociale ne peuvent vivre sans la concorde et la paix du dehors. Ici encore l'Eglise saura et pourra seule mettre un terme aux interminables et sanglantes luttes féodales. La Trève de Dieu, proposée par un abbé de Cluny, commence cette œuvre d'apaisement qu'achève, cinquante années plus tard, le sublime élan de la première croisade, provoqué par un pauvre moine de Saint-Rigaud, près de Charlieu.

Vienne maintenant l'aurore du XIIe siècle. Elle verra s'accomplir le grand mouvement social et artistique de notre première Renaissance française, sous la conduite de saint Hugues, de saint Bernard, de l'abbé Suger, le sage et libéral ministre de Louis le Gros, et de Pierre le Vénérable, l'idéal du moine. L'émancipation politique du tiers état sera contemporaine d'une merveilleuse floraison architecturale, procédant des écoles clunisiennes, et 1a prospérité matérielle va s'affirmer après la mort de saint Louis, par un chiffre de villages et de population qui ne sera plus dépassé jusqu'à la veille de 1789 [2] .

          Notre pays de Roannais était spécialement appelé à prendre une large part à ce magnifique réveil. Par ses relations nécessaires et fréquentes avec les foyers d'activité intellectuelle et sociale de Cluny, de Fontevrault, de Savigny, de Marcigny, de Saint-Menoux, de Saint-Michel-de-la-Cluse, dont relevaient ses nombreux prieurés, par la présence de ses deux antiques abbayes d'Ambierle et de Charlieu devenus en plein XIe siècle d'importants ateliers artistiques et industriels, grâce aux travaux d'architecture et de décoration monumentale qu'y faisait exécuter saint Odilon [3] . Il était depuis longtemps initié aux idées de progrès et de civilisation. Puis, en 1095, n'avait-il pas été le premier à frémir d'enthousiasme au cri de « Dieu le veut » poussé par Pierre l'Ermite, quand cet apôtre de la première croisade, se rendant à Clermont où l'appelait le pape Urbain, dut suivre la voie qui de Charlieu tendait à Vichy par Saint-Germain-Lespinasse.

Ce sol, en majeure partie d'ailleurs couvert de forêts et de terres incultes était donc tout préparé pour recevoir une colonie de ces soixante mille moines blancs que saint Bernard, durant les vingt-cinq années qui suivirent le solennel chapitre de 1119, disséminait « du Tibre au Volga, du Mançanarès à la Baltique » , pour relever la condition si misérable encore du peuple des campagnes, en créant des centres agricoles dans les solitudes, les bois et les marécages.

Cluny s'était donné la mission d'opérer la transformation intellectuelle et artistique de l'Europe occidentale; Cîteaux allait réaliser sa transformation économique par la réhabilitation de l'agriculture et par le travail manuel.


II

CONSTRUCTION DES GRANGES ET DU MONASTÈRE

Suivant une légende, qui paraît s'être accréditée durant le XVIIe siècle, saint Bernard, accompagné de quelques religieux, traversait, en revenant d'un voyage en Italie notre vallée roannaise de la Tessonne, alors couverte de forêts. Saisi d'enthousiasme au milieu de cette solitude, il se serait écrié : Hic benedicamus Domino, (ici, mes frères, bénissons Dieu), et aurait pris la résolution d'y installer une maison de son ordre [4] .

Aucun texte authentique n'étaye cette tradition. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'une inscription, aujourd'hui disparue et consciencieusement relevée par La Mure, au-dessus de la porte de l'abbaye, plaçait au 29 septembre, au 3 des calendes d'octobre 1138, la date de la fondation de cet établissement. En ce jour, fête de saint Michel, la petite colonie de douze, moines envoyée de Clairvaux sous la conduite d'Albéric, un des fils chéris de saint Bernard, dut s'installer dans les prairies et les bois de la Chassagne et du Flaché, territoires qui leur étaient concédés par deux seigneurs voisins, Girin de Bonnefont et Ponce de Pierrefitte.

Nous n'avons pas à raconter ici quel rôle considérable échut à la nouvelle abbaye jusqu'au XVIe siècle, quelles firent ensuite ses vicissitudes jusqu'aux décrets révolutionnaires de 1790. L'histoire, au surplus, en a été faite, savante et aussi complète que le pouvait permettre la destruction à jamais regrettable du riche chartrier de nos Bénédictins [5] . Mais, au début de cette étude monographique, se dresse l'importante question de l'âge des constructions primitives encore debout aujourd'hui. Cette date, nous ne la connaissons pas, nous ne la posséderons peut-être jamais, et il convient de l'établir au moins approximativement, soit par synchronismes historiques, soit par indications architecturales.

Tout d'abord il est inadmissible que l'ensemble des bâtiments abbatiaux, dont la grandiose église, seul débris subsistant, révèle suffisamment l'importance, ait pu être édifié dans les premiers temps qui suivirent la fondation. Car ce furent des années de dénuement absolu et de difficultés matérielles des plus graves. Tous les textes le prouvent « Les religieux de la Bénisson-Dieu sont pauvres et vivent parmi les pauvres » écrivait saint Bernard en 1140 à Foulques, archevêque de Lyon, dont il sollicitait la protection [6] . Quarante années plus tard, en 1179, l'abbaye n'était encore qu'une misérable installation dans le genre du monastère de bois de la vallée d'Absinthe des premiers Cisterciens, une pauvre petite maison, paupercula domus.

C'est ainsi qu'elle est désignée dans une supplique qu'adresse en sa faveur au pape Alexandre III le moine Henry, successivement abbé d'Hautecombe et du Clairvaux.

Or, dans cet intervalle, l'histoire ne cesse pourtant d'enregistrer, surtout à partir de 1160, de très considérables donations faites à la nouvelle maison par le comte Guy II, par les vicomtes de Mâcon et une foule d'illustres personnages foréziens [7] . II semble difficile, à priori, de concilier avec ces libéralités l'état précaire de la paupercula domus de 1179; mais la contradiction n'est qu'apparente, et il est facile de le démontrer.

Comme toutes les filles de Cîteaux, la Bénisson-Dieu, aux deux premiers siècles de son existence, fut à la fois un asile de prière et un vaste établissement agricole. Ses propriétés, conformément aux institutions et coutumes de l'ordre, étaient, au fur et à mesure de leur avènement, divisées en exploitations indépendantes, souvent isolées à de grandes distances, et pourvues chacune d'une installation nommée grange, cellier, ou simplement villa, métairie, si ses revenus étaient insuffisants pour l'entretien de treize frères ou religieux. Le texte des constitutions cisterciennes est formel : « Des granges ou métairies seront réparties sur le sol possédé par l'abbaye; leur culture est confiée aux frères convers, aidés par des valets de ferme..... Les animaux domestiques devront être propagés autant qu'ils ne sont qu'utiles ..... Les troupeaux de grand et de petit bétail ne s'éloigneront pas à plus d'une journée des granges, lesquelles ne seront pas bâties à moins de deux lieues de Bourgogne l'une de l'autre [8] . »

La grange cistercienne des XIIe et XIIIe siècle n'est pas le prieuré clunisien, véritable petit monastère avec cimetière, chapelle et cloître, desservi par une communauté de moines à résidence fixe. C'est une grande ferme, centre d'opérations agricoles et industrielles, habitée temporairement au temps de la récolte par des religieux profès et d'une façon continue par des frères convers, assujettis à la règle, mais non revêtus des fonctions sacerdotales et travaillant sous la direction d'un religieux qui a le titre de maître et de frère hospitalier. Car, dans toutes les granges, l'hospitalité la plus large attend le voyageur à toute heure. « A cet effet, une lampe brûle toute la nuit dans une petite niche pratiquée au-dessus ou a côté de la porte. comme un fanal pour guider le pèlerin et ranimer son courage.»

Quant au cellier, c'est aussi une institution spéciale. A. Lenoir, dans son Architecture monastique, donne la description des celliers ordinaires des abbayes, qui sont des magasins de provisions de toute espèce, ordinairement situés sur une des faces du cloître et comportant souvent plusieurs étages. Le cellarius, cellerier, plus tard 1e procureur, avait soin du cellier et veillait à la nourriture en général [9] .

Mais le cellier cistercien des XIIe et XIIIe siècles est un établissement indépendant

et le plus souvent éloigné de l'abbaye, offrant la même organisation intérieure que la grange, dont il diffère seulement en ce qu'il est une installation viticole et non agricole. On le crée dans les pays vignobles; et le premier cellier organisé par la Bénisson-Dieu fut celui de Villerêt (de Villareto), bâti dans les dernières années du XII siècle, sous le troisième abbé Hugues, pour l'exploitation des vignes situées au lieu de Limand (Limandum), aujourd'hui «fdes Moines », à l'est du bourg et sous l'église [10] .

Les convers, qui peuplent la grange ou le cellier de Cîteaux, labourent, moissonnent, font les vendanges et les vins, élèvent d'immenses troupeaux, pratiquent l'irrigation, le drainage, et fréquentent les marchés et les foires quand la distance n'exige pas plus de trois jours d'absence. Mais ils ne sont pas seulement cultivateurs, il y a frères meuniers, les frères brasseurs, les boulangers, les corroyeurs, les tuiliers, les tisserands, les charpentiers, les maçons, les serruriers... Chaque compagnie a un contre-maître, et le moine directeur de la grange a la surveillance générale, organise et distribue tous les travaux [11] .

Dès le milieu du XIIIe siècle, le nombre des frères deviendra insuffisant. Il faudra leur adjoindre des mercenaires séculiers, des valets de ferme comme l'avait prévu la constitution primitive; et c'est ainsi que l'ordre de Cïteaux, par le travail manuel, enlèvera des milliers de bras à 1a guerre et à l'oisiveté pour remplir ses huit ou dix mille fermes-écoles.

Cette organisation statutaire de tous les établissements cisterciens fut celle de la Bénisson-Dieu. Et, si l'on considère en outre que les plus importantes concessions de territoire qui lui advinrent dans le principe étaient faites ad opus grangiae [12] , ad faciendam grangiam [13] , sous la condition de l'édification d'une grange, on en conclura nécessairement que toutes ses ressources durent être exclusivement appliquées pendant les premiers temps, à ces constructions rurales.

C'est en effet ce qui eut lieu. Et alors qu'en 1179 l'abbaye n'était encore que la chétive demeure signalée par l'abbé Henry, elle possédait déjà les riches granges de la Chassagne (Cassania) et du Flaché (Flacheio) dans le voisinage du couvent, celle de Linas (Delina) sous le village de Mably, de Rioux (de Rivis) entre Nervieux, Saint-Sulpice, Sainte-Foy et la rivière d'Aix [14] , sans parler de la villa ou métairie de la Regardière, avec ses immenses pâturages sur les hautes montagnes de Sauvain (les chals de Salvayng) et de Pierre-Bazane, en Forez; sans parler encore des granges situées sur les confins du Velay, au-delà de Saint-Bonnet-le-Château, mentionnées par l'abbé Henry, en 1179, dans sa supplique au pape Alexandre$III.

A cette époque, c'est-à-dire à partir de 1180, commence l'ère de prospérité. Le travail, les privations accumulent un capital que ne cessent d'accroître de nouvelles concessions, à Bigny, à Montaiguet, à Saint-Paul-de-Vezelin et à Villerêt [15] . D'autre part, la foule des religieux, convers ou oblats, s'augmente de plus en plus, jusqu'à atteindre 1e chiffre de cinq cents dans les dernières années du XIIe siècle; les bâtiments primitifs sont insuffisants, et leur reconstruction est devenue nécessaire et urgente. On peut supposer qu'elle était achevée vers 1200 ou 1201, date de l'arrivée, en qualité de frère donné à la Bénisson-Dieu, du pieux comte Guy II, qui s'en intitule souvent le véritable fondateur, et qui venait de résigner entre les mains de son fils le gouvernement du comté [16] . Elle était, en tous cas, très certainement terminée en 1210, puisqu'en cette année avait lieu l'inhumation de ce comte dans la salle capitulaire, où son tombeau était encore intact au milieu du XVIIe siècle, quand La Mure en releva la curieuse épitaphe [17] .

Quant à l'église en particulier, sa construction avait dû précéder celle de tous les bâtiments conventuels ou de service, dont l'emplacement était, suivant le programme de Cîteaux, déterminé par celui de l'église, comme on le verra plus loin. On doit la considérer comme un ouvrage des vingt dernières années du XIIe siècle; assignation que confirme l'étude monographique du monument.


III

PLAN DES BATIMENTS CONVENTUELS

Lorsqu'après s'être élevée sur le sommet de la colline qui domine le cours de la Loire et le village de Briennon, la route en redescend le versant occidental, elle offre tout à coup à l'un de ses tournants le panorama de la profonde vallée de la Tessonne, du fond de laquelle émerge une très haute tour, se profilant sur le fond bleuâtre des monts de la Madeleine.

Le tableau est saisissant.

Le voyageur ému s'arrête devant cette grandiose épave de la maison cistercienne de la Bénisson-Dieu; et son esprit évoque le passé de huit siècles de cet asile de paix, où tant de morts illustres dorment maintenant abandonnés, qui auraient voulu y reposer entourés d'encens et de prières, où passèrent des légions de moines venant demander à la pénitence, au travail, la consolation intérieure et la préparation pour le terrible et inévitable passage!

Les murs peu élevés qui entouraient le monastère, ses dépendances et ses jardins sont encore debout. L'église, avec son merveilleux comble, coloré comme un tapis d'Orient occupe toujours l'angle méridional de cette vaste enceinte. Mais i1 ne reste absolument rien des bâtiments conventuels, dont l'importance et les dispositions nous sont heureusement révélées par de précieux documents iconographiques des XVeme et XVIIeme siècles.

   Ces dispositions étaient d'ailleurs prévues et imposées par la règle cistercienne. On les trouve expressément définies dans la constitution de l'ordre, rédigée par saint Bernard et dix autres abbés, lors du premier chapitre général de Cîteaux, et promulgués en 1134 sous le titre d'Instituta capituli generalis. Elle comprenait quatre-vingt sept articles, et fut toujours considérée comme un chef-d'oeuvre d'organisation. On y lit ces prescriptions : « Le monastère sera construit de telle façon qu'il réunisse dans son enceinte toutes les choses nécessaires, savoir : l'eau, un moulin, un jardin, des ateliers pour divers métiers, afin d'éviter que les moines aillent au dehors..... » De là l'usage constant d'installer les établissements de l'ordre, non dans les lieux mais dans les vallons, sur le bord d'un cours d'eau, qui procurait à la fois l'irrigation pour la culture et la force motrice pour les usines.

L'emplacement du monastère une fois choisi, on édifiait l'église à l'extrémité de l'enceinte opposée à la rivière, et l'intervalle était réservé, aux bâtiments conventuels, dont le plan d'ensemble comportait plusieurs sections indépendantes, bien que juxtaposées.

Au collatéral et au chevet de l'église était adossé le cloître avec toutes ses dépendances, composant la clôture des religieux profès. Près du porche fermé et de l'entrée de l'abbaye, on installait la maison abbatiale, l'hôtellerie et les logements des frères. Plus loin étaient disposés sans ordre, sans symétrie, en raison du terrain et du voisinage du cours d'eau, les cuisines, les granges et celliers, puis les étables et les usines.

Ces dispositions générales, qui se retrouvaient invariablement dans toutes les créations cisterciennes des XIIe et XIIIe siècles, et dont les abbayes secondaires de Pontigny en Auxois et de Vaux-de-Cernay près de Paris, offraient des types complets [18] , furent scrupuleusement suivies à la Bénisson-Dieu. Nous en avons la preuve dans les témoignages matériels encore visibles sur les lieux, dans quatre dessins exécutés d'après nature, l'un par Guillaume Revel au milieu du XVe siècle, les trois autres en 1618 par Etienne Martellange, architecte du collège de Roanne, dans une peinture à la colle, datée de 1646 qui se voit encore, bien que fort endommagée sur une des parois de la sacristie de l'église [19] .

La petite plaine, choisie pour l'emplacement du monastère, était bordée au nord par la Tessonne, qui coule de l'ouest à l'est. Les dépendances industrielles devant être installées près de la rivière, l'église fut d'abord construite à l'opposé, c'est-à-dire à l'extrémité méridionale, et le cloître, qu'il fallait placer forcément entre la rivière et l'église, ne put être bâti qu'au nord de la nef. Cette orientation septentrionale était contraire aux usages de l'architecture monastique, mais elle est prouvée par les renseignements matériels les plus décisifs.

La muraille de l'église montre encore, en effet, malgré les réparations faites il y a deux ans, les trous de chevronnage pour le toit de la galerie qui lui était adossée. La porte à puissant linteau renforcé, qui faisait communiquer le cloître avec le chœur,

La Bénisson-Dieu en 1646, d'après une peinture murale de la Sacristie.

Quant au croquis de G. Revel, il donne vraisemblablement la représentation des constructions primitives, c'est-à-dire antérieures à 1210. Cela semble résulter en effet de la forme plein cintre des portes et des baies, du détail des toitures, de la pyramide polygonale en pierre du clocher... Dans les dessins de 1618, c'est le même­ plan général, mais avec la surélévation des combles, avec les meneaux en croix des fenêtres et les adjonctions de la tour d'angle du nord et du clocher encore debout.

La reproduction photographique des quatre précieux dessins est jointe à ce mémoire, ainsi qu'une copie prise en 1872, par M. de Paszkowicz, de la peinture de la sacristie, qui, depuis une dizaine d'annees, a subi de graves altérations équivalant à une destruction partielle.


et à côté de laquelle fut installé, en 1223, l'enfeu d'Alice, comtesse de Forez, existe toujours telle que La Mure l'a décrite [20] . Quant au préau, Izerbarium, compris entre les quatres galeries, son emplacement ne peut étre mis en doute, car le puits symbolique est toujours en place. Toutefois, la grande distance de ce puits à l'église peut peut donner à croire qu il ne fut pas établi, suivant l'ancien usage, au centre du préau, mais sur le bord du promenoir nord. Cette disposition était une amélioration adoptée pour la commodité des moines qui venaient y faire leurs ablutions, et elle devint fréquente à partir du XIIIe siècle. On en trouve un exemple dans le cloître du prieuré de Charlieu, qui est un ouvrage de la fin du XVe siècle [21] .

Les bâtiments claustraux entouraient le cloître, suivant l'usage invariable. Celui qui continuait le transsept carré de l'église, renfermait au rez-de-chaussée: d'abord la sacristie puis la salle du chapitre, le parloir, locutorium, destiné aux entretiens exceptionnels des moines habituellement tenus au plus absolu silence, et enfin le chauffoir commun, pyrale, où les religieux, transis pendant 1'office matutinal, venaient se réchauffer avant de se rendre aux travaux du dehors.

Le dortoir était au premier étage. On le plaçait. ainsi dans le voisinage immédiat afin de faciliter aux moines l'accès du choeur pour les offices de la nuit. L'infirmerie, le réfectoire, les cuisines et le cellier fermaient le cloître du côté nord. Ils occupaient, dès la fin du XVe siècle, le vaste bâtiment à deux étages et à comble élevé que Martellange nous montre flanqué, à l'un de ses angles, d'une tour ronde surmontée d'un hourd et d'un lanternon de guetteur, et, à l'autre, d'un large pavillon quadrangulaire saillant muni d'une échauguette en charpente.

Sur le côté occidental de la clôture, en dehors d'elle, et au-delà de la façade de l'église, se trouvaient le logis abbatial, celui des hôtes et des frères, qui, tout à fait séparés, des profès, pénétraient dans l'église, comme le voulait la règle, par une porte spéciale placée latéralement au commencement de la nef. Cette porte existe toujours; on l'a murée pour y adosser un confessionnal. Sur les dessins de Martellange; l'abbatial est cette haute construction rectangulaire, à contreforts et à galerie supérieure en encorbellement, qui vient après l'ancienne petite tour carrée à hourd du croquis du Guillaume Revel.

          C'est dans cette tour qu'était, jusqu'au milieu du XVe siècle, l'entrée du monastère. Mais dès cette époque la Bénisson-Dieu devenant un couvent ordinaire, c'est-à-dire une maison de prière et d'étude, la vie conventuelle s'y concentrait autour du temple qui lui-même prenait d'ailleurs forcément et de plus en plus un rôle paroissial, et l'entrée de l'abbaye fut rapprochée et placée dans un porche fermé, sorte de corridor étroit qu'on édifia en avant de l'église. Cette entrée, sur le dessin de Martellange, se trouve cachée par une palissade qui forme comme une petite enceinte avancée à l'extérieur mais sa position est indiquée par la portelle unique réservée au-devant cette palissade.

La Bénisson-Dieu étant un établissement exclusivement agricole, du moins dans ses premiers temps, ne dut posséder, comme Clairvaux, ni second petit cloître réservé aux travaux littéraires ni cellules pour les copistes, ni grande bibliothèque. Mais elle contenait certainement dans son enceinte, et près des lieux conventuels, les granges, les écuries, le moulin, les usines et autres bâtiments de service. Ils ne sont indiqués sur aucun des dessins que nous possédons. Cela n'a rien d'étonnant pour le croquis de Guillaume Revel dont. le champ trop étroit put ne pas comprendre le monastère tout entier. Mais leur absence dans les vues panoramiques de 1618 est péremptoire.

Avec le relâchement progressif de la règle primitive, à partir du commencement du XIVe siècle, et l'institution de la commende à la fin du XVe, les occupations intellectuelles et l'enseignement tendaient de plus en plus à remplacer le travail manuel dans toutes les maisons de l'ordre; le recrutement des convers devenait plus difficile, le nombre des religieux plus restreint ; l'organisation agricole devait donc cesser d'exister, et les bâtiments de service, n'avant plus de raison d'être, durent rapidement disparaître. Pour la Bénisson-Dieu en particulier, cette transformation s'opéra vraisemblablement dans le courant du XVe siècle [22] .

Quant à l'ensemble des constructions conventuelles dessinées par Martellange, il fut, au milieu du XVIIe siècle, l'objet de travaux de restauration qui n'en altérèrent pas beaucoup la physionomie générale; mais il disparaissait complètement en 1764. En cette année, dit Courtépée, la maison fut construite à neuf et magnifiquement par Madame Marie-Thérèse-Marguerite de Jarente de Sénas, qui fut l'avant-dernière abbesse. L'abbatial, partie principale de cette reconstruction, était un long bâtiment régulier, à trois rangs de fenétres légèrement cintrées, qui s'appuyait à l'angle nord de la façade de l'église. Devenu propriété particulière en 1791, il n'a été entièrement démoli que depuis environ vingt-cinq ans.

IV

FORTIFICATIONS DU MONASTÈRE

Il ne paraît pas que la Bénisson-Dieu ait jamais possédé une enceinte de remparts munis de fossés, de créneaux et de tours ou d'échauguettes, comme Clairvaux sa mère, comme le prieuré de Charlieu. Mais on dut incontestablement songer à la mettre à l'abri d'un coup de main quand survinrent les invasions anglaises du XIVe siècle, et le croquis de Guillaume Revel, malgré son imperfection, nous fournit à ce sujet de précieux renseignements.

Il nous montre le monastère, vers 1450, emprisonné dans une haute muraille, revêtue de contreforts, et qui ne laisse apercevoir de l'église que le comble primitif plat et allongé. Cette muraille, ainsi que les différents pavillons, tous rectangulaires, qui la débordent, tels que le transsept méridional, sont couronnés d'un système uniforme de hourds en bois posés à demeure; véritable blindage, formé d'un chemin de ronde suspendu sur une charpente saillante avec poteaux se reliant à la toiture prolongée et parapet en croix de Saint André garnies de maçonnerie. C'est le système encore visible au château de Saint-Pierre-la-Noaille [23] .

L'entrée de l'abbaye, percée dans le haut pavillon qui avoisine le porche de l'église s'ouvre par une baie cintrée sur un passage intérieur terminé par une seconde porte. Le tablier de charpente, que le dessin de Revel figure au devant et déjà engagé dans cette entrée, est un de ces postis du haut moyen âge, antérieurs aux ponts-levis du XIVe siècle, qu'on retirait en le faisant glisser sur des rouleaux au lieu de le relever en manière de bascule.

Ces différents engins ou ouvrages défensifs sont complétés par un très curieux système de circonvallation, composé d'une double enceinte de pieux aiguisés à leur sommet. La premiere contourne de très près les murailles, dont le pied est ainsi préservé des tentatives de sape ou d'escalade. La seconde est extérieurement protégée par un ensemble d'autres palissades en équerre sur elle, sortes de barbacanes avec fossés, petits ponts mobiles et portes étroites placées de façon à contraindre l'assaillant à des détours multipliés. Ces ouvrages avancés, dont les lices forment de véritables chemins de ronde, permettaient à l'assiégé de tenter une sortie et d'escarmouches au dehors pour donner le temps de retirer la passerelle d'entrée, de fermer la porte principale et d'armer les hourds.

En 1618 disparaissent toutes ces constructions, qui équivalaient aux têtes de pont ou demi-lunes des fortifications modernes, et les palissades sont remplacées par de simples clayonnages qui n'ont aucune prétention défensive. Mais les hourds sont toujours en place au sommet des bâtiments qui n'ont pas été compris dans les réédifications et remaniements opérés à la fin du XVe siècle; ce qui, soit dit en passant, permet de se rendre un compte exact de ces travaux du dernier abbé régulier.

Avec la cessation des guerres de la Ligue, et l'apaisement religieux devenu défi­nitif sous le règne de Louis XIII, la Bénisson-Dieu n'avait plus à se précautionner contre des surprises à main armée. Aussi la peinture à la colle, encore visible, exé­cutée en 1646 sur une paroi de la sacristie aménagée par Madame de Nérestang, constate-t-elle la suppression des hourds, gaîtes et autres appareils défensifs. Le monastère ne sera plus protégé que par un simple mur de clôture, dont la plus grande partie existe encore, et ce mur lui-même n'a plus de raison d'être, car les jardins et dépendances du monastère qu'il avait mission d'enclore forment aujourd'hui plusieurs propriétés séparées et soumises à la grande culture.

La BENISSON-DIEU VERS 1450, d'après l'Armorial de Guillaume Revel.

DEUXIÈME PARTIE

L'ART A LA BENISSON-DIEU

I

LE BAS-BRIONNAIS FORÉZIEN AU XIIe SIÈCLE

Comme nous l'avons indiqué au chapitre précédent, notre Roannais était assurément, d'une façon générale, tout préparé, pour prendre part au grand mouvement de renaissance sociale provoqué au XIIe siècle par l'Institut monastique et en particulier par les statuts économiques de Clairvaux. On ne saurait toutefois admettre que le hasard seul conduisit saint Bernard, en 1138, dans nos forêts marécageuses de la Tessonne, pour y installer une maison de pauvreté volontaire, de pénitence et de travail.

Quels motifs spéciaux déterminèrent le sévère Cistercien? Quelles furent ses intentions?

Les titres, la tradition, la légende elle-même ne fournissent aucune réponse à ces questions que, seul, semble devoir élucider le fait très curieux et trop peu étudié d'un état d'ardeur religieuse et de civilisation artistique intense dont ne cessa de jouir pendant toute la période romane, la région dont dépendait la vallée de la Bénisson-Dieu.

 Pour ce petit pays, moitié bourguignon, moitié forézien et lyonnais, que traverse la Loire au nord-est du Roannais et qu'étaient venus successivement, avant et depuis l'an mil, éclairer comme autant de phares frontières les établissements monastiques d'Ambierle, de Charlieu, de Saint-Rigaud, d'Anzy-le-Duc et de Marcigny. Le milieu du XIIe siècle marque en effet l'apogée d'une étonnante fièvre artistique qui, en moins de deux cents ans, sur ce territoire de huit ou dix lieues carrées à peine fit surgir un nombre extraordinaire d'ouvrages d'architecture, de sculpture ou de décoration.

La plupart de ces monuments sont encore partiellement debout et présentent un sérieux intérêt pour l'histoire de notre art roman français. Mais, si quelques-uns d'entre eux ont été l'objet de monographies plus ou moins complètes, leur étude comparative est encore à faire. Cette étude sortirait du cadre dans lequel nous devons nous renfermer, et ce qui nous importe d'ailleurs pour la solution du problème que nous nous sommes posé, c'est uniquement de rechercher à quelles causes occasionnelles peut être attribuée cette étrange et rare floraison monumentale.

Faut-il, comme on pourrait le croire tout d'abord, ne voir dans ce mouvement local qu'une conséquence du rayonnement du splendide Cluny de Saint-Hugues ? Nous ne le pensons pas. Cette influence fut immense; cela est incontestable. Mais comprendrait-on qu'elle se fût exercée avec autant d'intensité sur un coin de terre si restreint, sans déborder sur les pays limitrophes de Lyonnais, de Beaujolais, de notre haut Forez surtout, qu'on ne voit s'éveiller complètement de son lourd sommeil gallo-romain qu'en plein XIIIe siècle, à l'appel du comte Guy IV édifiant la collégiale de Notre-Dame-d'Espérance? Aussi bien convient-il, ce nous semble, de demander à des causes moins générales l'explication du phénomène que nous venons de signaler.

Or, dès les premières heures du XIe siècle, déjà même avant l'an mil (fait trop ignoré, mais qui nous est révélé par les savantes investigations de Mabillon), un étonnant mouvement, générateur de celui des croisades, poussait vers les Lieux saints les populations de notre petit pays brionnais-forézien en même temps que celles de l'Auntunois. Les récits dramatiques des pèlerins revenant de Jérusalem, les plaintes si éloquentes d'Evrard, le moine d'Anzy, suscitaient un élan religieux considérable, source naturelle de libéralités et de pieuses fondations ; et cette ferveur s'accentuait encore, à la fin du. XIe siècle, à la vue du drapeau de la croisade solennellement porté, de Cluny à Clermont, par le pape Urbain II.

Antérieurement d'ailleurs à ce bruit retentissant de la guerre sainte, les habitants de cette petite Bourgogne venaient d'assister au mémorable événement du la création en 1056 de l'insigne abbaye de dames nobles de Marcigny. Cette maison entourée dès sa naissance d'un éclat absolument extraordinaire, recevait dans ses murs des papes, des évêqucs, des filles et épouses de rois, des membres des plus considérables familles de l'Europe occidentale. Et, fait important à consigner, toutes ces foules y arrivaient par une des plus importantes et des plus courtes voies de communication entre le Nord et le Midi, le magnum iter publicum, qui, de Marcigny, évitant Cluny, gagnait Iguerande, Charlieu, puis Lyon [24] , où il se soudait aux routes conduisant en Provence et en Italie. C'est Pierre le Vénérable lui-même qui nous donne ce curieux renseignernent [25] . Il était naturel qu'incessamment traversé-visité par tant de pieux et riches pélerins ou voyageurs, notre Brionnais-Forezien vît s'accroître démesurément le nombre de ses prieurés, de ses obédiences, de ses chapelles et de ses églises. Et toutes ces fondations, dont le nombre fut en effet si considérable, s'édifiaient sous la direction des Clunistes architectes, sculpteurs, peintres et ornemanistes.

Ce mouvement artistique et religieux venait d'atteindre, au milieu du XIIe siècle, sa plus grande intensité, lorsque, précisément à cette époque, saint Bernard, subissant vraisemblablement lui aussi l'attraction universelle, accomplissait en Brionnais son pélérinage à ce monastère illustre de Marcigny, qui venait d'être témoin des miracles de saint Hugues le Grand, et des deux bienheureuses Gislas de Bourgogne et Raingarde de Semur, dame de Montboissier, mère de Pierre le Vénérable [26] .

Peut-être assista-t-il aux derniers moments des deux religieuses espagnoles, sainte Fradeline [27] et sainte Véraise [28] , fille d'Alphonse roi d'Aragon? Il dut, en tous au cours de sa pérégrination, se rencontrer à Charlieu avec les moines clunisiens achevant de sculpter les élégantes figures grecques, les anges dramatiques et toute la fantaisiste et éblouissante décoration du porche du prieuré bénédictin.

L'austère simplicité de l'abbé de Clairvaux dut s'émouvoir, se scandaliser à la vue « de ces frivolité, de ces exubérances », contre lesquelles il venait de fulminer ses doléances fameuses adressées à Pierre le Vénérable ; et sans doute à ce moment fut décidée dans son esprit la création, dans ces parages, d'une colonie cistercienne, devant être la protestation permanente de l'humilité et de la pauvreté contre « tant d'inutiles splendeurs ». Il chercha une solitude, la trouva dans la petite vallée de la Tessonne et y installa sans délai une de ses filles spirituelles.

La croix de bois des Cisterciens fut ainsi dressée sur la rive gauche de la Loire, en face du richissime sanctuaire de Marcigny, en face des peintures d'Anzy et des bas-reliefs du portail de Charlieu. Et les doctrines iconophobes des moines blancs eurent raison de la prédication muette et symbolique demandée aux figures de marbre ou de pierre, aux fresques, aux mosaïques et aux vitraux. Les artistes qui, sur les tympans de Charlieu. venaient, à la suite de Gislebert d'Autun, d'inaugurer l'ère nouvelle de la sculpture française, abandonnèrent alors notre contrée pour aller travailler à Notre-Dame de Paris, à Chartres, à Saint-Rémy de Reims. Aussi, lorsque longtemps après, vers 1180, s'édifia la remarquable église de Semur, le dernier en date des monuments importants de la région, il fallut, pour la décorer, retrouver quelques imagiers qui surmontèrent son portail principal des scènes naïves et des petits hommes trapus et difformes, ressuscités des temps d'ignorance et de barbarie. Deux femmes dévorées vivantes par des bêtes immondes sont sculptées en demi-relief, l'une à Charlieu, l'autre à Semur. Celle-ci n'est qu'un magot grotesque, tandis qu'à Charlieu la justesse de mouvement, la proportion allongée de cette gracieuse figure font penser aux sculptures de nos vieux maîtres français du XVIe siècle. Ce sont donc deux morceaux singulièrement précieux, car ils permettent de jalonner l'énorme distance qui sépare, au point de vue esthétique, le vieil art gallo-romain, de la Renaissance éclose au XIIe siècle dans les écoles artistiques de Bourgogne.

II

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – ARCHITECTURE

Lorsqu'à 1a fin du XIIe siècle, les cinq cents religieux, profès, novices, oblats ou frères convers du monastère de la Bénisson-Dieu purent enfin entreprendre l'édification d'une vaste et solide abbatiale à la place du petit oratoire de bois des temps de misère et d'épreuves, ils durent naturellement s'imposer la plus étroite observance des règles et coutumes de l'ordre.

Dominés par les exigences statutaires d'économie, de simplicité des formes et de suppression de toute décoration superflue, les constructeurs cisterciens, rejetant les dispositions compliquées des chevets circulaires clunisiens, avaient adopté pour leurs absides la forme carrée, avec quatre chapelles également carrées, latérales au sanctuaire, sur la même ligne que lui et ouvrant à l'est sur les bras du transsept. Ils évitaient ainsi les dispendieuses combinaisons de courbes, de pénétrations de voûtes tournantes, de corps saillants, de toitures étagées; et, sauf de très rares exceptions, les six cents abbatiales édifiées par Cîteau durant le XIIe siècle présentèrent invariablement cette ordonnance simple et régulière, qu'on retrouve jusque près de Rome dans l'église du monastère de Saint-Vincent-Saint-Anastase [29] .

Les statuts du chapitre général prohibaient toute espèce de peintures ou de sculptures, à moins qu'il ne s'agît de croix. Point de tableaux sur les autels; point de pavages polychromes ; point de croix dorées ou argentées de grande dimension; point d'ornements sacerdotaux en soie; point de cierges, même devant le tombeau, ou les reliques d'un saint [30] . Les chandelles seules étaient permises, ainsi que cinq lampes : trois dans le choeur des moines, une pour les convers, et une pour les étrangers. L'entretien perpétuel d'une lampe dans l'église n'était qu'exceptionnellement toléré dans le cours du XIIe siècle, et ne devint obligatoire qu'au chapitre général de 1240. Ces rigueurs spéciales étaient dictées par le désir d'éloigner les fondations de luminaire si fréquentes durant le moyen âge.

Le luxe des tours flanquant les façades et les transsepts des églises clunisiennes répugnait à l'austérité des Cisterciens. Un seul clocher devait suffire; il devait être en bois de hauteur modérée, et on 1e plaçait ordinairement sur la grande nef ou au milieu de la croisée. Interdiction, au moins dans les premiers temps, de construire des tours en pierre. Et les cloches, au nombre de deux seulement, ne devaient pas excéder le poids de cinq cents livres [31] .

Ces différentes prescriptions furent exactement suivies à la Bénisson-Dieu. Mais, pour se rendre compte de l'oeuvre primitive, il faut, par la pensée, la débar­rasser des adjonctions et remaniements divers qui lui advinrent aux XVe et XVIIe siècles : remaniements qui en ont fait un assemblage incohérent de profils et dispositions romanes, de comble, clocher et détails gothiques et de toiture carénée du temps de Louis XIII. Aussi bien cette confusion rend-elle nécessaire l'étude architecture tectonique du monument aux trois époques principales de son histoire.


I- PÉRIODE ROMANE

       Extérieur. - Le plan primitif donnait la forme d'une croix latine, orientée, à trois nefs et transsept, mesurant 54 mètres de longueur totale sur 16m35 de largeur en oeuvre. Hauteur sous voûtes de la grande nef, environ 15 mètres; des collatéraux, 7m80 ; largeur de la grande nef entre les piles, 7m03; des collatéraux, 2m95; largeur du transsept, 7m35.

Le chevet et 1e transsept n'existent plus, mais les dispositions nous en sont par quelques ruines encore debout, par des substructions qui étaient complètes il y a peu d'années, et par les dessins anciens reproduits dans la première partie de ce mémoire. L'abside était carrée, avec chapelles de même forme, latérales au sanctuaire, sur la même ligne que lui et ouvrant à l'est sur les bras du transsept. C'était exactement l'ordonnance statutaire [32] .

 

PLAN DE L'EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Deux trous de cloche toujours béants, réservés dans les voûtes des quatrième et septième, travées, indiquent la position qu'occupaient, sur le comble de la grande nef, deux petits clochers de bois, qui plus tard, au XIIIe siècle probablement, lorsque les prescriptions devinrent moins rigoureuses, furent remplacés par la tour en pierre très basse et à flèche octogonale figurée dans le dessin de G. Revel.

La façade primitive est intacte, n'ayant perdu que les rampants du pignon de sa partie centrale noyée sous la surélévation des plus disgracieuses que rendit nécessaire l'exhaussement ultérieur du grand comble. En plus du portail et de la rose dont elle est ajourée, elle présentait, au droit des basses nefs, deux baies qui sont murées, probablement depuis le XVe siècle, et dont la réouverture s'impose.

La porte offre une application timide encore de ce système roman, qui, à la donnée byzantine d'un seul arc soulageant un linteau, avait ajouté l'innovation de plusieurs arcs superposés, concentriques, formant comme un large cadre autour du tympan et allant toujours en s'évasant du dedans au dehors. Ce sont les voussures, au moyen desquelles on obtenait en même temps la solidité voulue pour supporter le poids des murs et les larges ébrasements des baies pour faciliter l'entrée et la sortie de la foule.

A la Bénisson-Dieu, le mur de façade n'étant ni très élevé, ni très épais, il ne fut établi que deux de ces arcs de décharge, et non plus à claveaux simplement unis et à vive arête comme au XIe siècle, mais allégis et décorés suivant l'usage qui avait prévalu à la fin de 1a période romane. L'une de ces archivoltes est tordue élégamment en forme de câble; l'autre, la plus extérieure, offre une bande plate de boutons orlés entre deux moulures saillantes. Elles reposent sur quatre colonnettes logées dans les ébrasements, indépendantes de 1a bâtisse, mais non monolithes. Des bagues, en relief sur les fûts à des hauteurs inégales, indiquent les joints des blocs. Leurs chapiteaux témoigneraient vaguement de l'approche du XIIIe siècle par leurs palmettes romanes commençant à se retourner en crochets. L'une des bases est ornée de nervures en spirale, curieux motif qui se voit dans 1"abside de Pouilly-les-Nonnains.

Sur la dalle du tympan, quatre petits lobes plein cintre sont évidés à très faible profondeur, et leurs trois pointes sont fleuronnées de palmettes cannelées sur les pleins, de façon à obtenir des clairs et des ombres sans modelé. C'est la flore conventionnelle de la sculpture d'ornement de Byzance influencée par l'art persan. C'est la décoration ciselée, très fine d'exécution, très élégante, mais sèche, plate et monotone, des bijoux et des coffrets du Levant importés par les Vénitiens à Limoges, dans le Languedoc et l'Auvergne.

Pris dans son ensemble, ce portail serait d'un aspect grêle et maigre, sans la présence d'un linteau du plus grand caractère. C'est un bloc monolithe énorme, allégi par des moulures droites encadrant une croix grecque potencée remarquablement dessinée et sculptée en mince relief. Cette belle croix se retrouve identique sur le linteau du portail latéral de l'église de Semur.

La rose de façade est une roue romane à seize rayons formés de petites colonnettes à bases et chapiteaux, qui partent d'un moyen évidé d'un quatre-feuilles et sont reliées vers la circonférence par des demi-cercles entrecroisés. Le tout inscrit dans un cadre de moulures et de tores concentriques, décorés les uns d'oves allongés, les autres d'un chevronnage.

 

Intérieur : Les trois nefs sont composées jusqu'au transsept de sept travées de largeur à peu près égales, sauf celle de l'entrée qui mesure 5 mètres au lieu de 4m60. Elles sont séparées par des piles rectangulaires qui, à 4 mètres du sol, reçoivent sur de minces tailloirs talutés les archivoltes ogives, et, sur des culs-de­-lampe à moulures droites, les pillettes engagées continuant les arcs doubleaux des voûtes. Les cinq premières travées étaient réservées pour les frères et les étrangers, les deux dernières pour les religieux profès, dont le choeur comprenait, en outre, l'abside et tout le transsept. Il était élevé de trois marches au-dessus du sol et séparé du reste de l'église par deux murs pleins fermant les collatéraux et par un septum ou clôture basse posée sur l'emmarchement, en travers de la grande nef. Les moines y accédaient, suivant la règle, soit par l'escalier encore visible qui

du croisillon nord conduisait, comme nous l'avons déjà remarqué, au dortoir et à la bibliothèque, soit par la large porte de rez-de-chaussée donnant dans le cloître.

Partout, la lutte du plein cintre et de l'arc aigu.

Les baies conservent le plein cintre, et l'arc en tiers-point est employé dans toutes les parties où il est utile au constructeur.

Les collatéraux sont voûtés d'arêtes à la romaine. Quant aux voûtes de la grande nef, elles réclament une courte description, car elles constituent la véritable curiosité architectonique du monument.

On sait qu'aux constructeurs romans du XIIe siècle appartient la si importante innovation du voûtage en arcs d'ogives, qui permit plus tard les merveilleux élancement de nos cathédrales gothiques, lorsque ce nouveau mode de structure eut atteint toute sa perfection. Le manque de stabilité de l'ancien berceau roman, nervé ou non l'avait, fait abandonner en principe dès le commencement du XIIe siècle. D'autre part, la voûte d'arête romaine donnait des courbes trop plates et par conséquent peu solides, quand l'espace à couvrir était de grande dimension ou de forme barlongue [33] .

Le système de coupoles sur pendentifs offrait seul une résistance assurée, mais il exigeait une hauteur et une dépense de cintrage trop considérables. C'est alors que dans chaque travée comprise entre de puissants doubleaux, on imagina de bander des arcs diagonaux, à claveaux réguliers, s'entrecroisant comme les arêtes romaines, et contre lesquels on appuya la maçonnerie faite après coup de voûtains triangulaires de remplissage. De cette façon, 1a poussée sur les murs était annulée pour être reportée entière sur les piliers verticaux, et le principe des membrures élastiques était trouvé.

Les premières applications en étaient faites vers 1140 à Saint-Denis et dans la cathédrale de Sens. C'est ce dernier monument qui semble avoir inspiré nos moines architectes de la Bénisson-Dieu, lesquels, de même que ceux de Sens, manquant probablement d'une confiance absolue dans le nouveau système, relevèrent à une hauteur démesurée les clefs des arcs diagonaux, de façon à conserver à l'ensemble des quatre voûtains la forme générale domicale, c'est-à-dire en coupole [34] . Cet excès de précaution diminuait encore la poussée, et explique l'étonnante conservation de l'édifice après sept cents ans d'existence, malgré l'exiguïté de ses contreforts et d'arcs-boutants.

   Ajoutons que cette structure encore si imparfaite fait date pour le monument, et le place à cette époque, précédant le XIIIe siècle, que caractérise la transition de la voûte romane à la voûte gothique.

Telle est l'oeuvre architecturale primitive de l'église de la Bénisson-Dieu. Elle pêche sans doute par l'alourdissement des formes, par l'absence des finesses et des élégances du style clunisien, mais tout y respire la puissance et la solidité. C'est d'ailleurs une construction très soignée, et pour laquelle ont été employés d'excellents matériaux.

 


II. - PÉRIODE GOTHIQUE

 

Durant les trois cents ans qui suivirent sa fondation, le monument que nous venons de décrire n'avait subi d'autres altérations que l'enveloppe de murailles garnies de hourds et d'échauguettes dont on l'avait revêtu au temps des incursions anglaises. C'est sous cet aspect de forteresse qu'il figure vers le milieu du XVe siècle, dans l'album de G. Reve1, le héraut d'armes de Charles VII.

Or voici qu'en 1460 était élu abbé du monastère un moine, bachelier de l'université de Paris, que sa science, sa noble origine et sa fortune appelaient, peu de temps après, à l'éminente dignité d'abbé de Pontigny au diocèse d'Auxerre, une des cinq abbayes-mères de l'ordre. Pierre de la Fin ne résigna pas son abbaye roannaise, il la garda en commende. C'était un esprit fastueux et ardent, disent les chroniqueurs. C'était un artiste, disent ses oeuvres. Ce fut surtout un infatigable et intelligent bâtisseur. Car, non content de relever de ses ruines le grand monastère de Pontigny, d'édifier à Montaiguet, sur les limites du Bourbonnais et du Forez, un château et une collégiale prébendée sur ses biens personnels et ceux de ses frères, il exécuta à la Bénisson-Dieu de très considérables travaux qui, modifiant totalement l'ordonnance architecturale et la sobriété décorative de l'église romane, constituaient une complète dérogation aux statuts de l'ordre.

Cette infraction, que ne motivait pas suffisamment le relâchement encore peu accentué quoique progressif de la règle, et que l'abbé de la Bénisson-Dieu eut été impuissant à réaliser, fut rendue facile au grand dignitaire de Pontigny. On sait en effet que la surveillance, la haute direction de toutes les abbayes cisterciennes appartenaient aux cinq abbés des grands monastères de la Ferté, Cîteaux, Pontigny, Clairvaux et Morimond, sous la seule réserve de l'approbation de leurs décisions par les chapitres généraux annuels. Or ce contrôle venant à disparaître en fait, dès 1470, grâce à l'irrégularité des sessions du chapitre, on conçoit que Pierre de la Fin eût toute liberté pour satisfaire ses goûts artistiques et luxueux dans 1a restauration de sa chère maison de la Bénisson-Dieu où il avait fait profession. En s'affranchissant d'ailleurs des exigences de 1a règle, il cédait à l'entraînement artistique général provoqué, dans le pays même de saint Bernard, par Claus Slüter et les autres précurseurs de génie appelés des Flandres à la cour des ducs de Bourgogne.

La première oeuvre ordonnée par le nouvel abbé fut l'installation, sur la grande nef, du comble immense, dont la charpente est un admirable modèle d'élégance et de solidité. Il se compose de six fermes à deux entraits, l'un retroussé à plus de 5 mètres de hauteur,

CHARPENTE DE L'ÉGLISE DE LA BENISSON-DIEU

(Fin du XVe siéc1e)

l'autre de plus fort équarrissage posé au droit des sablières. Elles sont établies sur un triangle de 8 mètres de base et dont la hauteur considérable de 11m60 donne aux arbalétriers une pente d'environ 65 degrés. Entre ces fermes-maîtresses sont rangés les chevrons, espacés de 0m60, munis comme elles d'entraits retroussés, mais dont les pieds sont posés sur blochets et non sur tirants. Deux lignes de jambettes presque verticales et de liens, disposées pour soulager ce chevronnage, complètent la curieuse perspective en forme de carène de navire de cette charpente

CLOCHER DE L'ÉGLISE DE La BENISSON-DIEU, d'après une aquarelle de M. de Paszkowiez.

 

dite à chevrons portant ferme, dont les bois, tous à vive arête et d'un équarrissage relativement faible, sont absolument intacts après quatre cents ans d'existence. Cette nouvelle toiture fut revêtue d'une garniture de tuiles émaillées, de quatre tons bien tranchés et disposées en losanges d'un effet décoratif saisissant. La patine du temps a harmonisé ces émaux, et il semble qu'un merveilleux tapis de l'Inde ou de la Perse ait été jeté sur ce comble, qui fit en 1852 l'admiration du M. de Montalembert et décida l'inscription de la Bénisson-Dieu au nombre des monuments historiques de France.

Il faut croire que le clocher roman en pierre n'était plus d'une hautenr suffisante après la surélévation du grand comble. Peut-être menaçait-il ruine ? Quoi qu'il en soit, Pierre de la Fin le fit disparaître, installa, pour le choeur des religieuses un petit campanile en bois figuré sur les dessins de Martellange, et fit édifier à l'angle sud-ouest de la façade, en style flamboyant, le clocher actuel, monument de dimensions considérables et tout à fait indépendant du vaisseau roman. Il se compose d'une tour quadrangulaire de 4m40 de côtés en oeuvre, couronnée, à la hauteur de 33 mètres, d'une terrasse à parapet de pierre sculptée à jour, d'où s'élance une pyramide en charpente de 18 mètres d'élévation. Un des angles de l'ouvrage s'appuie au mur du collatéral; deux autres sont buttés d'énormes contreforts de 2m60 de saillie à leur base, et qui montent par ressauts jusqu'à la terrasse, où ils se terminent en pinacles fleuronnés hauts de 3m50. Le quatrième angle est cantonné d'une délicieuse tourelle hexagonale de 2 mètres de vide, qui s'élance mince et hardie à la hauteur de 38 mètres. Elle est percée de treize petites baies à accolade éclairant l'escalier en spirale qui dessert successivement les quatre étages du clocher, celui du beffroi et la terrasse terminale. La paroi méridionale de la tour est percée de hautes fenêtres à croisillons donnant dans les salles intérieures, et à l'étage du beffroi quatre immenses baies ogives de 6 mètres de hauteur occupent les intervalles des contreforts.

L'installation si bizarre de cette bâtisse sur un angle de l'église, en avant de la façade qu'elle voile en partie, eut pour motif la mise en communication de l'abbatial et des autres bâtiments de service avec la prison et les salles d'archives et de bibliothèque logées dans la tour neuve. Malheureusement cette communication rendit nécessaire l'installation d'un long corridor à deux étages, sorte de pseudo-porche, tout le long de la façade. Le portail et la rose devinrent invisibles et les deux fenêtres des collatéraux furent murées. On voit encore sur la facade les traces, de crépis et les trous de solivage des planchers de cet appendice, qui ne fut détruit qu'à la fin du dix-huitième siècle. On lui doit probablement la parfaite conservation du portail sculpté et de la rose.

Pierre de la Fin fit en outre exécuter de luxueuses restaurations dans l'abside, dont la baie principale reçut un réseau flamboyant, des meneaux en pierre taillée et probablement une vitre à ses armes. Ces ouvrages ont été complètement détruits au XVIIe siècle, comme nous le verrons bientôt, et leurs matériaux employés comme moellons dans les maçonneries exécutées à cette époque. Un assez grand nombre de ces débris, donnant d'intéressants profils, ont été récemment retrouvés et déposés dans le musée lapidaire créé dans l'église.

Un autre travail décoratif non moins important nous a été fort heureusement conservé, et témoigne des goûts peu cisterciens du fastueux abbé. Ayant vraisemblablement à pourvoir aux besoins religieux de la petite population qui était venue se grouper peu à peu autour de l'abbaye, il disposa dans ce but les trois travées du collatéral sud précédant la clôture des moines. Les voûtes d'arête en furent jetées bas et réédifiées en arcs d'ogives avec nervures prismatiques retombant sur des culs-de-lampe historiés, qu'on enchâssa assez maladroitement d'ailleurs dans les piles. Dans le mur latéral de l'église fut creusée une cuve baptismale à parement de pierre richement sculpté, et tout au fond fut adossé au mur du choeur un autel surmonté d'un très curieux retable dont nous parlerons plus loin.

L'affectation paroissiale, que nous supposons avoir motivé cette transformation intéressante, ne se justifie toutefois par aucun texte, nous nous empressons de le reconnaître. On pourrait contester à la piscine murale le caractère de baptistère qu'elle a encore aujourd'hui, et n'y voir qu'un accessoire ordinaire de l'autel dont elle était pourtant éloignée de 15 mètres [35] ! On peut même supposer que ce fut une armoire aux saintes huiles, analogue à celle qui existait dans l'ancienne église récemment démolie du prieuré de Noailly, paroisse voisine de la Bénisson-Dieu, et au-dessus de laquelle se lisait l'inscription Olea sacra en caractères romains du XVIe ou du XVIIe siècle? La découverte d'un document écrit pourrait seule lever toutes ces incertitudes.

III. - XVIIe SIÈCLE

Les constructions et restaurations datant de l'époque ogivale que nous venons d'inventorier avaient, sans contredit, sensiblement altéré le caractère de simplicité décorative de notre abbatiale, mais n'en avait nullement modifié l'ordonnance et les dispositions architecturales.

Plus tard, au XVIe siècle, les guerres de religion durent être, pour le monastère, une occasion de ruines, de dévastation. Et, bien que les indications historiques manquent de précision à cet égard, on peut admettre en toute assurance que la destruction, en 1589, de la ville de l'Espinasse par les huguenots de Saulx-Tavannes, dut avoir de terribles conséquences pour la Bénisson-Dieu qui était dans son voisinage immédiat. Il n'en paraît rien cependant sur les dessins de Martellange, datés de 1618.

Mais à ce moment allait commencer l'oeuvre d'un vandalisme méthodique bien autrement funeste que tous les faits de guerre.

Les moines venaient de partir en 1612, laissant leur monastère, appauvri, délabré, aux Bernardines de Mègemont groupées sous l'administration d'une jeune abbesse de vingt et un ans, femme de naissance illustre et aussi distinguée par sa vertu que par son intelligence. Née dans la paroisse de Firminy en Forez, d'abord novice à Bonlieu, puis abbesse de Mègemont en Auvergne, Mme Françoise de Nérestang put travailler immédiatement à la restauration de sa nouvelle résidence de la Bénisson-Dieu, grâce au puissant appui de Jean-Claude, son frère, qui venait en 1620 de succéder aux charges, dignités et possessions du marquis Philibert de Nérestang, tué à l'attaque des Ponts-de-Cé.

Les bâtiments conventuels furent rapidement réparés ou réédifiés. Quant aux travaux entrepris dans l'église, ils n'étaient terminés qu'en 1640, ainsi qu'en témoignent deux inscriptions, l'une dans la chapelle de la Vierge, l'autre dans la grande nef au-dessus du portail d'entrée.

Tout d'abord, pour des raisons restées inconnues, l'abside, ses chapelles annexes et le transsept tout entier furent abandonnés, démolis même en partie et séparés par de minces cloisons du surplus de l'église. Les deux travées, qui dépendaient de l'ancienne clôture des moines, furent rendues au culte public, et suréleveés d'environ 1m50, au moyen d'un faux plancher précédé d'un emmarchement en bois s'ajoutant aux trois marches de pierre qui dataient du XIIe siècle. De leurs bas côtés nord on fit deux sacristies; ce qui obligea de murer les deux arcades ouvrant dans la grande nef et la belle porte donnant, à rez-de-chaussée, de l'église dans le cloître.

La partie surélevée de la grande nef devint le nouveau sanctuaire, et, à la mince cloison la séparant de l'ancienne abside abandonnée, fut adossé l'autel principal surmonté d'un immense et riche retable en bois sculpté.

Il fallait un choeur cloîtré pour les religieuses. On l'installa sur une estrade por­tée par quatre poutres qu'on fixa dans les piliers de la croisée des nefs. Deux fenêtres sans aucun caractère, dont la place est toujours visible dans la cloison, permettaient aux religieuses la vue des offices, et pour se rendre à couvert de l'abbatial à ce nouveau choeur, on construisit, tout le long du collatéral sud, un corridor du plus déplorable effet. Il est figuré sur la peinture de la sacristie dont nous avons déjà parlé.

Mais ce n'est pas tout, Mme de Nérestang, voulant probablement procurer soit aux religieuses infirmes, soit aux soeurs converses, la vue des offices (car on ne sait au juste à quel motif attribuer cet autre si bizarre agencement), fit surélever les toitures des deux collatéraux jusqu'au tiers de la hauteur des fenêtres hautes. Elle obtint ainsi, au-dessus des voûtes, des passages qui devinrent de véritables tribunes, par le moyen de baies trapues à linteau courbe, qu'on ouvrit en manière de triforium dans les parois de la grande nef. Et, pour 1e muraillement partiel des fenêtres obstruées, on utilisa comme moellons les débris de pierres sculptées ou moulurées, et de carreaux émaillés provenant de la démolition de 1'abside, qu'avait si richement décorée l'abbé Pierre de la Fin.

Telle fut, trop rapidement esquissée, l'œuvre architecturale réalisée par l'abbesse de Nérestang ; oeuvre pitoyable de toutes manières, qui détruisit le chevet de l'église, modifia de la façon 1a plus maladroite l'ordonnance primitive si majestueuse, si rationnelle, et pouvait être désastreuse pour tout le surplus encore debout de l'édifice, si la bâtisse romane et ses voûtages eussent offert moins de résistance [36] . Toutefois, à côté de ce vandalisme et de cette déplorable mutilation, il est juste de signaler la luxueuse chapelle que 1a dévote abbesse fit édifier sur le prolongement de la deuxième travée du collatéral sud, dont la paroi extérieure fut ouverte. Séparée de la grande nef par une très remarquable grille en menuiserie, cette chapelle, dédiée à la Vierge, mesure en oeuvre 11m10 sur 4m60.

La partie construite par Mme de Nérestang est en saillie sur le vaisseau roman et forme un pavillon voûté en coupole à quatre pans, sous une toiture fantaisiste à quatre rampants en accolade. Un sous-sol fut réservé pour former le caveau funéraire de la famille de l'abbesse; et deux portes latérales, aujourd'hui closes, donnaient passage aux religieuses qui, venant du pseudo-porche au-devant de l'église ou des salles de la tour, traversaient la chapelle pour se rendre ensuite; par le corridor longeant le collatéral, jusqu'au chœur qui leur était réservé.

Très richement et entièrement revêtu de marbres, de peintures murales et d’inscriptions, l’intérieur absolument intact de cette chapelle est un fort remarquable specimen de décoration du temps de Louis XIII. Et, bien que complètement complètement disparate avec le style et les détails de l'édifice, cette ceuvre artistique sollicite l'at­tention et réclame une étude spéciale.

 

IV. - TRAVAUX RÉCENTS

Il ne paraît pas que, dans l'intervalle d'un siècle et demi qui s'étend entre la mort de Mme de Nerestang et l'orage révolutionnaire, notre église ait été l'objet d'aucune dégradation, d'aucun remaniement notable. Confisquée à la suite des décrets de la Constituante de 1789 et 1790, mise en vente publique dès le mois d'avril 1791, et définitivement adjugée, le 16 thermidor an IV, à M. Charles Gambon de Roanne.

Au lendemain du Concordat, le nouveau propriétaire en permettait la réouverture pour quelques cérémonies religieuses; puis, en 1817, il en consentait la vente, sur les instances d'un vénérable prêtre, M. Nicolas Derobe, l'ancien aumônier des religieuses expulsées, à cinq habitants de la localité, moyennant le prix de 3600 livres, et sous la condition d'en faire un édifice public exclusivement consacré à l'exercice régulier du culte.

Cette condition impliquait nécessairement la création d'un centre paroissial. Elle ne put être remplie qu'en février 1826, grâce à l'ordonnance royale érigeant la Bénisson-Dieu en paroisse indépendante de celle de Briennon.

L'antique monument avait traversé sans avaries majeures, autre que l'écroulement survenu en 1820 du choeur des religieuses, la longue période d'abandon et les péripéties que nous venons de résumer. Mais il périssait par les surcharges résultant des imprudents travaux de Mme de Nérestang. Il périssait par le manque d'air et de jour; car les deux baies romanes de 1a façade ajourant les collatéraux étaient murées depuis le XVe siècle (elles le sont encore aujourd'hui); et toutes les hautes et basses fenêtres des nefs sont encore aveuglées, sur un tiers de leur hauteur, par les remplissages de maçonnerie qu'avaient nécessités, au XVIIe siècle, les surélévations de toitures et l'installation du passage latéral.

Il périssait par l'humidité. Son sol se trouvait en contre-bas de tous les terrains du pourtour, qui, sans parler de l'exhaussement lent et progressif, oeuvre ordinaire des siècles, avaient été artificiellement relevé, d'une part jusqu'à 1m40 de hauteur pour assainir le cimetière établi le long de la basse nef méridionale, et d'autre part à plus de 50 centimètres devant la façade pour faire obstacle aux crues périodiques d'un bras de la rivière. Les bases des colonnettes du portail roman sont encore actuellement enterrées et à peu près invisibles.

La détérioration s'accentuait avec une effrayante rapidité et, en 1880, alors qu'elle avait atteint son maximum d'intensité, survenait, sans raisons sérieuses, le déclassement de l'édifice, qui, depuis 1852, était inscrit au nombre des monuments historiques de France, grâce à l'admiration qu'il avait inspirée à MM. de Montalembert, Vitet et Mérimée.

Informée de cette situation, la Société historique et archéologique du Forez, la Diana, s'empressa d'entamer d'actives et énergiques négociations pour sauver le monument. Son mandataire, l'auteur du présent mémoire, fut puissamment aidé par le zèle patriotique des députés de la région; et, au printemps de l'année 1881, notre abbatiale était de nouveau et définitivement rétablie sur la liste des monuments confiés à la surveillance du ministère des beaux-arts.

On ne s'en tint pas là. Les devis d'une réparation complète furent immédiatement dressés, des souscriptions sollicitées, et, dès 1882, commençaient de très importants travaux d'assainissement et de consolidation, exécutés par l'Etat sous la direction de M. Selmersheim, inspecteur général des beaux-arts [37] .

Le corridor longeant 1a basse nef de droite et le pseudo-porche fermé voilant la façade avaient disparu depuis plus de cinquante ans. Les travaux achevés en 1887 ont eu pour but:

Le déchaussement des murs latéraux par le déblai du terrain du cimetière qui a été déplacé;

La destruction des passages et surcharges établis sur les voûtes des basses nefs, et le rétablissement des deux toitures à leur hauteur primitive encore marquée par un larmier et des corbeaux anciens toujours en place;

La démolition des appendices adossés par Mme de Nérestang à la chapelle de la Vierge et au clocher, pour donner accès au comble tribune du collatéral;

La réparation des murs goutterots et des contreforts ruinés par l'humidité;

La reprise à taille ouverte de toute la toiture en tuiles émaillées du grand comble.

Reste à rétablir l'ancienne vitrerie, dont quelques précieux fragments sont heureusement conservés; à redresser et à recouvrir la flèche du clocher depuis longtemps déversée; à restaurer quelques meubles précieux du XVe siècle; à rebâtir le plancher du sanctuaire, qui s'est effondré récemment, et à rouvrir toutes les baies partiellement murées [38] .

Les devis de ces diverses réparations sont dressés, leur exécution est imminente. Dès à présent, en tout cas, est assurée la conservation du vénérable monument cistercien qui est un des joyaux du pays roannais.


III

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – MOBILIER

I. - ASPECT INTÉRIEUR A L'ÉPOQUE ROMANE

Avant de procéder à l'inventaire du mobilier et des richesses artistiques que possède encore actuellement l'église de la Bénisson-Dieu, il convient de rechercher et de reconstituer l'aspect intérieur de cette abbatiale à l'époque de son complet achèvement, c'est-à-dire dans les premières années du XIIIe siècle.

Les renseignements écrits, qui eussent facilité cette restitution, ont sombré avec les archives du monastère. Et les remaniements matériels si considérables que nous avons passés en revue, non moins que les modifications successivement apportées aux anciennes règles et à la discipline de Cîteaux, ont profondément altéré l'ordonnance primitive intérieure et la décoration du monument.

Il est cependant possible d'en recomposer le tableau en nous reportant, d'une part aux anciennes prohibitions, d'autre part aux textes qui racontent la splendeur des abbayes bénédictines contemporaines de la Bénisson-Dieu.

De tous ces documents, le plus important est le traité Sur la vie et les mœurs des religieux [39] que rédigea saint Bernard, sous forme d'apologie, pour justifier, comme il l'avoue lui-même, la véhémence de ses reproches aux Clunisiens. Ce plaidoyer contient douze chapitres. Le onzième fournit les détails les plus curieux, les plu précis sur le luxe d'architecture, de mobilier et de décoration peinte ou sculptée des églises monastiques. Et cet écrit peut se placer entre les années 1130 et 1140.

Il faut le dire en passant, les efforts du trop austère réformateur restèrent, heureusement sans résultat général en dehors des maisons de son ordre, ou de quelques monastères bénédictins de leur voisinage, et ne parvinrent pas à entraver le merveilleux mouvement de notre Renaissance française du XIIe siècle; mouvement dont 1'étude ne sera jamais assez complète, qui eut ses racines dans 1e génie national et ne procéda pas d'une influence étrangère comme la Renaissance païenne du XVIe. Aussi bien l'humilité du saint abbé de Clairvaux dépassait la mesure, et eût replongé la civilisation dans la nuit isaurienne du VIIIe siècle. Quoi de plus naturel que l'institut monastique, seul refuge, depuis Charlemagne, des lettres, des sciences et des arts, en encourageât la culture et l'amour; non seulement par ses écoles, mais par l'exécution d'importants travaux dans ses cloîtres et dans ses temples?

La peinture et la sculpture n'étaient-elles pas, d'ailleurs, comme le déclaraient les Pères du synode d'Arras au XIe siècle, le livre des ignorants, le livre des illettrés (illitterati)? L'Eglise ne ferma jamais ce livre. Jamais elle ne cessa d'orner et d'enrichir la maison du Seigneur, suivant le précepte du psalmiste [40] , et jusque dans les catacombes on trouve les sculptures, les mosaïques, les marbres et les riches couleurs.

Cette opiniâtre lutte entre les artistes clunisiens et les moines laboureurs de Cîteaux ne prit pas fin par la mort de saint Bernard, et quinze ou vingt ans plus tard, vers 1170, un religieux de son ordre, dans un écrit intitulé Dialogue entre un moine de Cîteaux et un moine de Cluny, constate et censure la persistance dés mêmes somptuosités, selon lui coupables [41] !

Il est constant que la plupart des abbatiales bénédictines de ces derniers temps de la période romane étaient parées de tout ce que les arts pouvaient alors produire riche et de plus magnifique.

Déjà à la fin du XIe siècle, l'abbé Didier avait fait venir de Constantinople des mosaïstes et des quadrataires ou tailleurs de marbre, pour décorer ses constructions du Mont-Cassin. Pour orner l'abbatiale de Saint-Denis, cinquante ans plus tard, Suger apelle d'Italie et d'Allemagne des orfèvres, des verriers, des peintres. Dans nos provinces de l'Est, les moines artistes de Cluny édifient les portails de Vezelay, de Charlieu, sculptent à Autun le tympan du Jugement dernier et le merveilleux tombeau de saint Ladre, détruit en plein XVIIIe siècle par les amateurs de marbres rococo et de retables néo-grecs.

Partout nos églises romanes se meublent de chapiteaux historiés, taillés par des imagiers qu'inspire le symbolisme des bestiaires moralisés. « Que signifient. saint Bernard, ces ridicules monstruosités...., ces figures de singes immondes., de féroces lions, ces monstrueux centaures, ces demi-hommes, ces tigres tachetés, ces guerriers combattant, ces chasseurs sonnant de la trompe?... Là se voient un quadrupède avec une queue de serpent et un poisson avec une tête de quadrupède. Ici une bête est cheval par devant et chèvre par derrière; là un animal cornu a la croupe d'un cheval. C'est un tel assemblage de formes merveilleuses, qu'on se délecte à lire dans les marbres plutot que dans les livres, et a admirer durant tout le jour ces oeuvres singulières plutôt qu'à méditer la loi divine. »

La décoration des plafonds et des parois des plus anciennes nefs romanes reproduisait, à peu de chose près, celle des basiliques latines et des édifices carlovingiens. Mais, au XIe siècle, la mosaïque est décidément détrônée par la peinture murale, dont l'église poitevine de Saint-Savin offre un complet spécimen. Et cette peinture religieuse, fresque vernie ou détrempe cautérisée, qui est d'abord simple et sobre, s'enrichit de plus en plus de rehauts d'or, quelquefois même de bronze doré, comme dans l'abside de Cluny. Ce luxe avait motivé la première et plus ardente plainte de l'abbé de Clairvaux : « In sancto quid facit aurum? A quoi bon l'or dans le lieu saint? Vous revêtez d'or les pierres de vos églises et vous laissez nus vos pauvres... »

Assez souvent les voûtes seules sont peintes et dorées, et les murailles, simplement blanchies, sont couvertes de tapisseries haute lisse des fabriques de Saumur, de Poitiers, de l'Artois, de la Flandre. De très nombreux textes mentionnent la magnificence des tentures de laine ou de soie, holosericis palliis, dont les abbés ornent leurs églises. A Cluny, les murs, les bancs et autres sièges destinés aux étrangers devaient, dans les fêtes solennelles, être entièrement couverts de tapisseries. Et, par les vignettes des manuscrits, on sait que, fort souvent, des voiles précieux étaient, comme dans les antiques basiliques, suspendus dans les entrecolonnements du choeur pour le séparer des bas côtés.

« Puis on place dans les églises, dit encore saint Bernard, non seulement des couronnes précieuses, mais des roues entourée, de lampes ardentes et plus brillantes encore par l'éclat des pierreries. Et nous voyons se dresser, en guise de candélabres, des arbres de bronze d'un poids excessif, d'un travail admirable, et non moins étincelants par les lampes qu'ils supportent que par les pierres précieuses dont ils sont ornés ». L'abbé Didier avait fait fabriquer pour le Mont-Cassin une couronne de lumière en argent du poids de cent livres, d'où s'élevaient douze petites tourelles avec trente-six lampes. La roue de Saint-Rémy de Reims portait quatre-vingt-seize flambeaux. Celle de Cluny était en bronze et argent et d'un poids énorme. On plaçait des candélabres dans le choeur aux fêtes solennelles, pour rappeler le chandelier à sept branches que Moïse avait fait exécuter en or pur pour 1e tabernacle. Celui de Cluny avait dix-huit pieds de hauteur, c'était un don de la reine Mathilde de Normamdie. Au XIe siècle, les sanctuaires étaient ornés de pavés en mosaïque, petits cubes de verre ou de marbre enchassés dans du ciment, qui reproduisaient les combinaisons variées de l'opus Alexandrinum des basiliques romaines.

C'est dans l'église d'Ainay, à Lyon [42] , au commencement du siècle suivant, que ce genre de pavage est pour la dernière fois mis en œuvre. Viennent ensuite les dalles gravées et les pavements historiés en terre incrustée et vernie. Le réformateur cistercien réprouve ce luxe. « Pourquoi, dit-il, décorer ce qui doit être souillé? Pourquoi peindre ce qui sera nécessairement foulé aux pieds?.."

Si maintenant nous mettons en parallèle de toutes ces magnificences les rigoureuses prescriptions des statuts de Cîteaux, nous arriverons, par de faciles éliminations, à composer une vue rétrospective de notre primitive église de la Bénisson-Dieu.

Nous sommes en 1211. Le comte Guy II vient de mourir, sous l'habit de moine donné, dans sa chère abbaye, dont il a pu constater le complet achèvement. Pénétrons dans l'église par le portail au tympan ciselé, encore intact aujourd'hui, et qui ne s'ouvrait alors que pour les étrangers de passage, les hôtes ou les rares paysans du voisinage.

Voici tout d'abord le bénitier, sorte de chapiteau de pierre creusé en cuve pour recevoir l'eau sainte et posé sur un fût de colonne. C'est le nouveau meuble qui a remplacé, dans les édifices romans, le cantharus ou fontaine d'ablution de ces atrium latins dont, à Saint-Ambroise de Milan, se trouve encore un complet spécimen.

De l'entrée, la perspective des nefs est interrompue par la clôture du choeur des religieux profès, lequel, suivant l'usage alors adopté dans la plupart des églises monastiques françaises, déborde du chevet, au-delà des transsepts, jusque dans les nefs, dont i1 occupe deux travées [43] .

Dans les bas cotés, cette clôture est faite de murs pleins, encore en place aujourd'hui. En travers de la grande nef, elle se compose d'un parapet bas et solide, portés sur trois marches au-dessus du sol, et d'une poutre ou trabes, suspendue à une certaine hauteur entre les deux piliers opposés.

Ce parapet, formé de dalles de pierres, maintenues verticales par de petits pilastres engagés, n'est revêtu d'aucun ornement sculpté, à jour ou en relief, comme les marbres du septum antique. C'est le chancel du choeur des églises monastiques, percé d'une porte à deux vantaux en métal et d'une grille, au travers de laquelle on donne la communion aux laïques et aux convers qui communient sept fois l'an. Dans le chancel, les Pères grecs voient la séparation des deux mondes ecclésiastique et laïque, du ciel et de la terre. Et, cette pensée symbolique se complète, pour les fidèles, par la présence, sur la trabes, du Christ en croix, qui rappelle l'autel du Salvatoris ad crucem des premières abbatiales.

La trabes a été remplacée, dès le XIVe siècle, par le jubé, abandonné lui-même Mais elle s'est conservée dans un grand nombre de nos églises rurales, sous forme d'un grand arc en fer forgé qui porte un crucifix [44] .

Dans le choeur, les chantres se servent d'un pupitre portatif en fer qui n'a rien de commun avec le riche lutrin des cathédrales, décoré d'émaux, de dorures et supporté par l'aigle de saint Jean. Sur le chancel, un autre pupitre fixe remplace l'ancien lectorium pour la lecture des évangiles, des épitres, des édits des évêques.

Pendant les offices de nuit, les quelques lampes et chandelles permises par les statuts luttent à grand'peine contre les ténèbres, et, durant le jour, l'immense vaisseau n'est éclairé que par la lumière rare et diffuse que laissent passer les baies fermées de vitres à pâte verdâtre et grossière, enchassées dans des plombs épais.

Pas une statue, pas une peinture murale, pas un tableau portatif pour égayer cet ensemble triste et sévère. Nos Cisterciens ne se sont permis qu'un seul luxe, le pavage du sanctuaire et du chœur en carreaux vernissés d'une teinte unie, vert noirâtre et sans aucun rehaut polychrome, comme le veulent les statuts.

On raconte que, dans sa visite à Clairvaux, en 1131, le pape Innocent II s'étonna de ne voir dans l'église autre chose que les quatre murs. C'est ce même aspect que présentait notre église de la Bénisson-Dieu, au commencement du XIIIe siècle. C'est l'aspect qu'elle conserva probablement jusqu'à la fin du XVe, jusqu'au gouvernement et aux luxueux travaux de l'abbé Pierre de la Fin.

II. – MOBILIER

LES AUTELS

Autel de Saint-Bernard. - Au fond du collatéral nord est adossé, contre le mur plein qui fermait le choeur des religieux, un autel roman, aujourd'hui consacré à saint Bernard, patron de l'église. Le corps massif, de forme rectangulaire, est revêtu d'arcatures plein cintre, soutenues par des colonnettes engagées d'un médiocre travail. Les bases à griffe et les chapiteaux à crochet sont de la fin de la période romane. Les indications architectoniques concordent donc avec l'absence de preuves précises, pour condamner l'opinion, trop légèrement avancée, que cet ouvrage serait contemporain du saint abbé de Clairvaux, et par conséquent antérieur d'un demi-siècle à la construction de notre église.

La table est une dalle massive de 22 centimètres d'épaisseur, sans autre moulure qu'un large chanfrein. Pas de gradins. Pas de retable. Pas de traces de peinture ou de ces gravures remplies de mastic ou de verre coloré, en usage au XIIe siècle.

Cet autel a-t-il primitivement occupé la place où il se trouve aujourd'hui? Cela est extrêmement douteux.

En effet, dans la troisième et définitive église de Clairvaux, bâtie par les libéralités des rois de Sicile et d'Angleterre, consacrée en 1174 et type des abbatiales cisterciennes; il n'y avait de chapelles qu'autour de l'abside et des transsepts. Cette disposition devint. générale et pour ainsi dire statutaire dans l'ordre. Il n'est pas admissible qu'à la Bénisson-Dieu, construite vingt-cinq ans seulement après Clairvaux, on y ait dérogé par l'installation de chapelles dans la partie des nefs réservée aux laïques et aux frères. Ce qui paraît infiniment probable, pour ne rien dire de plus, c'est que l'abbé de la Fin, si fort épris de l'architecture et de l'ornementation gothiques, n'aura pas voulu conserver le vieil autel roman dans le choeur qu'il restaurait avec tout le luxe du style flamboyant, et l'aura transporté dans une des basses nefs, en face de la chapelle de Notre-Dame, plus tard de Sainte-Marguerite, qu'il faisait édifier.

AUTEL DE SAINT BERNARD, d'après une photographie de M. P. Roustan.

Autel de Sainte-Marguerite. - Adossé comme le précédent au mur du choeur, mais dans le collatéral sud, cet ouvrage, de la fin du XVe siècle, est une véritable curiosité architectonique et l'un des plus intéressants meubles de l'église.

Son très original retable de pierre a été, au XVIIe siècle, sous 1e gouvernement de l'abbesse de Nérestang, sottement défiguré et mutilé par un encastrement brutal de dais et de socles, accompagnant trois statuettes, dont une d'une Vierge mère, une autre d'une sainte Anne. Il faut donc supprimer par la pensée ces maladroits hors d'œuvre, comme les supprimera nécessairement une restauration prochaine, pour retrouver le monument primitif et sa peu commune ordonnance.

La table de l'autel repose sur un corps à peu près carré; à plinthe talutée, et bâti en maçonnerie pleine crépie et peinte. En arrière, un ample parement en pierre taillée est partagé en deux étages par une corniche à chanfrein, chargée de plusieurs rangs très serrés de billettes franchement romanes. Et cette, corniche est portée par quatre colonnes engagées et montant du sol.

L'étage supérieur se compose d'un compartiment central, légérement concave compris entre deux panneaux plats cantonnés de colonnettes à fûts cannelés en spirale. Le tout couronné d'une seconde corniche à billettes.

La corniche inférieure se relève dans sa partie centrale pour former un rectangle simulant un tabernacle. Celle d'en haut se relève pareillement, de façon à donner un petit compartiment fermé d'une accolade.

Cet ensemble était chargé d'une décoration peinte. On n'en distingue plus qu'un semis d'étoiles. Tout comme des peintures de la contretable, qui a été ultérieurement noyée dans des allongements qu'il faudra supprimer, il ne reste visible que l'écusson de l'abbé de la Fin : d'argent, à trois fasces de gueules, â la bordure engrelée de même, avec la devise: Laus Deo.

Autel de Notre-Dame, dans la chapelle de Nérestang. - Edifié, de 1630 à 1639, par l'abbesse Françoise de Nérestang et le marquis Jean-Claude, son frère, ce monument est d'une excellente conservation et il a fort grand air. Il étonne, il éblouit, mais il ne charme pas l'esprit amoureux de précision et de bon goût. L'ensemble est imposant par la richesse des matériaux, par le fini du travail; mais, de la surabondance de formes et de détails non motivés, résulte un sentiment de confusion qui fatigue. Rien de religieux, d'ailleurs, dans cette somptuosité païenne, qui est faite pour les yeux, et non pour l'âme et la prière.

Le coffre en bois de l'autel, et ses deux gradins sans tabernacle, sont décorés de ces appliques en bois sculpté, rinceaux, fleurons et chutes de feuilles ou de fruits, si fort à la mode du temps de Louis XIII.

En arrière s'étale, du sol à la voûte, un monumental retable de pierre et de marbre, dont l'ordonnance se dégage assez peu clairement de la multitude de détails dont il est surchargé. Au centre, une haute niche, contenant une statue en marbre blanc d'une Vierge mère, est accostée de pilastres et de gaines, qui soutiennent une corniche fantaisiste. Plus haut, une autre niche plus petite, avec statuette d'une Vierge orante, est surmontée d'un couronnement analogue, terminé par deux anges cariatides. Ces motifs sont enfermés entre deux groupes de deux colonnes chacun, portant les naissances de deux frontons coupés, qui se superposent et s'enchevêtrent fort habilement. Les colonnes, à chapiteaux corinthiens, sont cannelées et munies au tiers de leur hauteur de volumineuses bagues historiées.

Chargez tous les membres de cette composition architectonique de cartouches, d'écussons, d'incrustations de marbre noir, de ciselures, de têtes d'anges, de figures en relief ou en ronde bosse; coupez toutes les lignes par des courbes, par des res­sauts, par des échancrures, et vous aurez le tableau de cet ensemble décoratif, à la fois confus et magnifique.

Le doute est impossible : c'est de l'art italien. C'est la pompe et l'exubérance italiennes. Et, si la pierre calcaire est française, les marbres viennent de Carrare. Le marquis de Nérestang, l'ardent collaborateur de sa soeur l'abbesse dans l'œuvre artistique de la Bénisson-Dieu, avait certainement visité et admiré la fameuse façade de la Chartreuse de Pavie, qui était dans son voisinage, alors qu'il tenait pour le roi de France la ville de Casal, de la province de Montferrat. Il est naturel de supposer que, voulant meubler d'un riche autel notre chapelle sépulcrale de Nérestang, qu'il venait d'édifier, il en confia l'exécution à des praticiens et sculpteurs milanais ou génois, qui durent, par ordre, s'inspirer de l'oeuvre alors tant vantée d'Ambrogio da Fossano, à Pavie.

Cette influence italienne, « influence tramontaine plus barbare et moins plaisante que la gothique » qui avait envahi complètement notre XVIIe siècle français, était jugée, d'une façon aussi sévère que sensée, par deux critiques contemporains [45] . Nous ne résistons pas au plaisir de transcrire un passage de leur mémoire, qui semble inspiré par notre retable de la Bénisson-Dieu, dont il donne pour ainsi dire la description :

C'est comme un mode ou une manie universelle de n'estimer beau que ce qui est tout rempli et surchargé d'ornements de toutes sortes, sans discrétion et sans convenance. Tellement que nos petits maîtres pour enrichir une composition d'autel, au lieu que le frontispice n'est soutenu que d'une colonne à chaque côté, y en feraient une pile de quatre ou six à chaque côté, avec deux ou trois ressautements de moulures de la corniche, afin de rompre la suite et l'alignement des membres dont la régularité leur est ennuyeuse. Ce serait aussi trop peu pour eux d'un fronton, ils y en ajoutent deux assez souvent, et quelquefois trois, tous l'un sur l'autre... Ils n'estiment pas qu'un fronton soit beau, s'il n'est brisé et lambrequiné d'un écusson ou d'un cartouche. Les colonnes mêmes, qui sont les soutiens des ordres, sont contrefaites jusque dans leur fût; car, maintenant, c'est un trait de maître de faire une colonne torse ou entortillée d'anneaux et de ligatures capricieuses, qui la font paraître remastiquée et restaurée. Enfin, on peut dire que la pauvre architecture est maltraitée; mais il ne faut pas en imputer le plus grand reproche à nos Français, car les Italiens sont maintenant encore plus licencieux...

Autel majeur. - De même âge que le précédent, c'est-à-dire de la première moitié du XVIIe siècle, le grand autel en bois du choeur actuel est un travail français. Une peinture dans un cadre sculpté est accostée de deux colonnes torses, enguirlandées de pampres. Elles soutiennent un très majestueux entablement, sur lequel, entre deux consoles renversées simulant un fronton brisé, s'étale une sorte de cartouche contenant une seconde peinture. Les consoles portent deux anges aux ailes déployées, sculptés en ronde bosse.

Cette ordonnance procède, comme on le voit, de ce style dit des Jésuites, si fort à la mode durant le XVIIe siècle, et que le Bernin a déplorablement prodigué sur les façades des églises de Rome.


LES STALLES

Stalles fixes. - On sait, par Don Martène [46] et les anciens usages de l'ordre, que les moines cisterciens se servaient de stalles en bois munies du siège mobile, dit miséricorde ou patience. On en comptait plus de huit cents dans l'église de Clairvaux. La Bénisson-Dieu en dut être, sans aucun doute, pourvue dès l'origine, dans le choeur d'abord pour les profès et les infirmes, puis dans la nef, près du chancel, pour les novices, plus loin pour les étrangers, et enfin, près de l'entrée, pour les convers. Il ne reste aucun débris de cet antique mobilier.

Celui qu'installa l'abbé de la Fin, dans le dernier tiers du XVe siècle, nous est connu par trois précieuses épaves, trois panneaux [47] qui formaient les jouées terminales des stalles basses nanties de prie-Dieu, sur lesquels s'agenouillaient les religieux occupant les stalles supérieures.

Ces panneaux, de 0m50 sur 1m10, en chêne très épais, sont revêtus sur l'un des plats, d'une décoration sculptée en plein bois, entre deux colonnettes d'angle prises dans l'épannelage. D'un style sobre, sans aucun détail flamboyant, et qui rappellerait le XIVe siècle, cette ornementation se compose d'un soubassement de quatre arcatures lancettes ogives, que surmonte une rose à réseau de lobes entrecroisés, sur laquelle s'étale un écusson avec la crosse en pal. L'écusson, sur l'un des, panneaux, porte : d'... à trois chevrons d'hermines; sur l'autre : d'... à trois fasces de... à la bordure engrelée de...; sur le troisième : écartelé aux 1er' et 4e d'... à trois chevrons d'hermines, aux 2e et .3e d'... à trois fasces de... à la bordure engrelée de... Les deux derniers sont des blasons de la maison de 1a Fin.

Il ne faut pas s'étonner de cette décoration d'armoiries sur des stalles de religieux. Elle était fréquente aux XVe et XVIe siècles. Pour n'en citer qu'un exemple, les stalles de Cîteaux présentaient, au XVIe siècle, un grand nombre de blasons de chevaliers de Saint-Michel, créés par François Ier dans cette église.

De ces trois panneaux, deux sont encore surmontés de leur couronnement; celui-ci de quatre retroussis en forme de volutes affrontées deux à deux; celui-là de deux animaux ronde bosse, un lièvre et peut-être un agneau dont la tête a été brisée.

Par la richesse décorative de ces jouées, on peut se représenter le luxe de sculpture des appuis et des dossiers des stalles supérieures, que terminait sans doute un dais ciselé à jour, comme celui de la belle forme mobile dont nous parlerons tout à l'heure.

Ces stalles fixes furent naturellement comprises dans la destruction systématique opérée au XVIIe siècle de toute l'oeuvre gothique de l'abbé de la Fin. Elles furent remplacées par les deux rangs de stalles basses, sans aucune valeur artistique, qui sont encore en place dans le bas côté du choeur actuel. Seul, le siège de l'abbesse présentait une décoration de sculpture, dont faisaient partie les trois panneaux de chéne provenant de la collection Lescornel, et qui appartiennent aujourd'hui à M. l'architecte Collet. Tous les trois sont chargés d'un cartouche déchiqueté encadrant, l'un les deux majuscules E-B l'autre deux phi grecs entrelacés surmontés d'une couronne de marquis, le troisième l'écusson en losange et entouré d'un chapelet de la première abbesse de Nérestang qui porte d'azur à trois bandes d'or et trois étoiles d'argent entre la première et la deuxième bande.


PANNEAU DES STALLES BASSES

Forme ou stalle mobile. - L'église de la Bénisson-Dieu possède encore, fort peu mutilée et facilement réparable, une des plus précieuses pièces de son mobilier du XVe siècle. C'est un siège d'honneur, une forme mobile ou banc à cinq places, avec appuis séparatifs, dais et dossier. Ces cinq stalles sont hiérarchiquement étagées. celle du milieu milieu, plus élevée que les autres, et qui devait être forcément précédée d'une ou deux marches, était réservée à l'abbé. A ses côtés prenaient place les quatre plus importants dignitaires du monastère, à commencer par le grand prieur et le sous-prieur ou prieur claustral.

Chaque dorsal forme un fénestrage flamboyant sculpté en plein bois, avec meneau vertical donnant deux compartiments décorés d'écussons, qui n'étaient malheureusement que cloués et ont disparu. Sur le dossier de la stalle d'honneur était, en outre, sculpté en bas-relief un abbé crossé agenouillé devant une Vierge debout. Ces deux figures on été tota1ement mutilées, mais on en distingue parfaitement les contours. Des figurines ronde bosse de moines agenouillés surmontent les appuis qui, de même que les jouées sont de simples bâtis en charpente.

Cette belle forme était certainement le trône abbatial de 1a salle capitulaire; car l'absence de sièges à bascule et d'autre part la présence de l'effigie abbatiale ne permettent pas d'y voir un de ces meubles accessoires de l'autel, analogue à celui que décrit le sieur de Mauléon dans ses Voyages liturgiques en France : « Dans la cathédrale de Sens, dit-il, vis-à-vis du grand autel du côté de l'épître, il y a un fort beau banc, grand et long, composé de cinq sièges toujours en baissant, dont le prernier, qui est le plus haut. est pour le célébrant, et les autres pour les diacres et sous-diacres... »

Ajoutons que ce meuble est une pièce d'une insigne rareté et peut-être unique. Au témoignage de Viollet-le-Duc, il n'existe dans les musées et les collections que quelques formes mobiles du XVe siècle et à trois places seulement. Celle du musée de Cluny ne date que de la Renaissance et a d'ailleurs été rebâtie avec d'anciens fragments.

CLOTURE DE LA CHAPELLE DE NÉRESTANG

Cette vaste claire-voie est un travail de menuiserie d'une réelle valeur artistique et d'un grand effet décoratif. Sa conservation est remarquable, et sa restauration, qui peut être accomplie sur place, exigera peu de frais.

C'est une œuvre française, car, bien qu'on y retrouve quelques-unes des dispositions du retable italien de la chapelle, elle en diffère totalement comme sobriété, comme respect de la ligne et des principes de l'antiquité classique, qu'on n'a pas trouvée, cette fois, trop grave, trop nue, trop régulière.

Deux pilastres d'extrémités et, au centre, deux colonnes à chapiteaux corinthiens portent un entablement complet, amorti d'un petit fronton central. Les trois compartiments, que fournit cette ordonnance, sont fermés, sur les deux tiers de leur hauteur, d'une claire-voie de balustres fuselés minces et élégants. Au dessus trois panneaux rectangulaires oblongs sont sculptés à jour : ceux des côtés, de deux palmes nouées et élégamment recourbées; celui du milieu, d'une sorte de cartouche dans le style de Jean Lepautre. La frise est pareillement ajourée avec ornements analogues.

Cette belle clôture n'a plus rien de commun, bien entendu, avec les oeuvres similaires du moyen âge. L'art de la menuiserie était, en effet, depuis les influences italiennes de la Renaissance, détourné de ses voies et procédés rationnels, si bien que, durant les deux derniers siècles et Jusqu'à nos jours, on ne lui a plus demandé que de simuler des maçonneries, des sculptures, des colonnes, des consoles, des corniches d'une saillie le plus souvent démesurée et jusqu'à des draperies [48] ; toutes oeuvres artificielles, hors de son domaine, de ses moyens, d'où la science des assemblages semble bannie, et qui ne peuvent se tenir qu'à force de vis, de membrures en fer net surtout de colle forte!... Encore ne parlons-nous pas de la mode désordonnée des placages empruntés à l'ébénisterie, qui a complété la décadence et accentué de plus en plus le caractère éphémère de tous nos travaux menuisés contemporains.

LES BRODERIES

Les ouvrages d'ancienne broderie ne se rencontrent plus que très rarement dans notre pays de Forez. Il dut cependant participer au goût général pour cet art charmant du brodeur, qui ne sera bientôt plus qu'un souvenir, après avoir joué un rôle si considérable en Occident depuis le XIe siècle, depuis la première croisade.

On sait, en effet, quel éblouissement produisit le faste de l'antique Byzance et des villes d'Asie Mineure sur nos croisés qui, partis habillés de fer, revinrent couverts de ces splendides étoffes d'Orient, toutes chargées d'or, de pierreries, dont les broderies «$resplendissaient si fort au soleil, qu'il semblait qu'elles fussent allumées [49] ! »

Ce fut surtout après le sac de Constantinople, en 1204, que se généralisa le goût pour les tissus brodés, à ce point que, dès le milieu du XIIIe siècle, ainsi qu'en témoigne le Livre des métiers d'Et. Boileau, fonctionnaient à Paris de nombreuses et puissantes corporations de fillaresses de soie à fuseaux, de crespiniers de fil et de soie pour ouvrages à l'aiguille et à mestier, d'ouvriers de draps de soie et de velours, de tapissiers de tapiz sarrasinois qui travaillaient pour les églises ou les hauz homes, et de broudeurs et brouderesses, comprenant les découpeurs et chasubliers, ainsi que les faiseurs d'aumônières sarrasinoises [50] .

Avec Philippe le Bel, la mode des fourrures avait été détrônée par celle des broderies, dont étaient surchargés les vêtements et tous leurs accessoires, coiffures, gants et chaussures, à tel point, dit Quicherat, qu'en plein XVe siècle, toute grande maison avait son brodeur à l'année [51] . Et jusqu'au XVIIe on brode, non seulement les costumes de cour ou de riches personnages, les orfrois ou parements d'église, mais jusqu'aux tentures mobiles des appartements, ainsi qu'en témoignent tous nos anciens inventaires.

Au déclin de la Renaissance, cet art recevait une nouvelle impulsion par l'adoption des motifs de fruits et de feuillages, que les dessinateurs empruntaient aux tissus brochés à ramages, dits brocarts et brocatelles. Un jardin spécial fut créé à Paris pour fournir des modèles de fleurs. Et il est curieux de noter, en passant, que c'est un établissement horticole, créé pour des peintres, qui, acheté par le roi Henri IV, est devenu la célèbre institution scientifique connue dans le monde entier sous le nom de Jardin des Plantes, avec son Muséum d'histoire naturelle.

Le luxe des vêtements devenant excessif, motiva le fameux édit somptuaire, par Louis XIII en 1629. Mais ce règlement sur les superfluités d'habits n'atteignit en rien les ornements d'église, dont la production fut plus considérable que jamais. Et c'est à cette époque du milieu du XVIIe siècle que se place la confection des broderies que possède la Bénisson-Dieu. Ces ouvrages à l'aiguille, oeuvres de nos Bernardines démontrent que les couvents cisterciens, malgré les rigueurs de la règle rivalisaient d'efforts avec les autres maisons religieuses pour produire de luxueux ouvrages comparables aux chefs-d'oeuvre sortis des Carmels de Tours et du Blaisois [52] .

 Chasuble. - Cette broderie sur satin blanc, exécutée au passé en soies de couleurs avec fort relief, offre un éblouissant fouillis de rinceaux, d'oiseaux et de fleurs au naturel.

La croix est dessinée par un large galon d'or fin, et tout au bas, à droite sont brodées en soie, or et argent, les armes de Nérestang. L'écusson, timbré de la couronne de marquis, est entouré des cordelettes d'or à coquilles d'argent, soutenant la croix à huit pointes de l'ordre de Saint-Michel. Le marquis frère de l'abbesse Françoise, fut donc vraisemblablement le donateur de cette riche pièce de broderie, qui serait, par conséquent, antérieure à l'année 1639, date de son décès.

Devants d'autel ou antependia. – « Suivant les prescriptions relatives à la décoration des églises, dit l'auteur des Mélanges d'art, la partie antérieure de chaque autel lorsque le prêtre disait la messe, était autrefois ornée d'une tenture en étoffe ou en broderie; on poussait même le soin, comme pour les ornements, jusqu'à employer la couleur du jour. » L'église de la Bénisson-Dieu possède encore quatre anciens parements, brodés au milieu du XVIIe siècle, dont les dimensions identiques, 0m88 de hauteur sur 2m50 de long, sont celles de l'autel majeur auquel on les adaptait.

Le plus remarquable, le plus riche, est exécuté au plumetis, opus plumarium, en soie de couleur sur un mince tissu de laine blanche. Un cornet de fruits et de coquillages occupe le centre d'un entrelacement de rinceaux chargés de fleurs et d'oiseaux rares, dont le coloris fin et harmonieux a malheureusement perdu sa vivacité première et demanderait à être ravivé par une intelligente restauration. Il y a là des iris, des oeillets, des tulipes et des fritillaires d'un dessin et d'une exécution irréprochables. Ce beau panneau de broderie nuée est armorié de deux écussons. Celui du marquis de Nérestang est entouré du collier de l'ordre du Saint-Esprit et fait pendant à l'écu en losange, avec la crosse en pal, de l'abbesse sa soeur qui travailla peut-être à ce remarquable ouvrage.

A la même époque appartient un autre parement d'un effet saisissant, quoique moins somptueux. C'est une broderie de rapport, ce qu'on appelait au XVIe siècle un travail d'entretaillure. De petites pièces brodées en laine, au point carré de tapis sont appliquées sur une étoffe de fond d'un rouge éclatant, et pourfilées d'un cordonnet ou milanaise cousu de soie blanche. Ces appliques, qui sont embouties ou bourrées pour leur donner du relief, représentent des fleurs, des feuillages d'un dessin grossier, d'un coloris pauvre. Elles sont distribuées de façon à former deux bandes verticales de chaque côté d'une croix du Saint-Esprit, brodée de même et placée au centre du parement. La colombe, en fils d'argent sur trame de soie, se détache sur fond de soie jaune d'or, et les huit branches de la croix sont bordés de fleurons donnant l'aspect d'un travail d'orfèvrerie.

Cette ornementation se complète très ingénieusement d'un semis de perles en soie blanche, au point lancé et qui, disséminées dans les vides et les échancrures. produisent sur le fond rouge feu un grand effet décoratif.

Le troisième devant d'autel, à fond de laine violette, est encore un travail d'entretaillure. Mais les dimensions uniformes, 0m17 sur 0m17, des pièces de rapport. disposées en échiquier de chaque côté d'une croix grecque, donnent à l'ensemble un aspect trop régulier et peu artistique. Ce défaut est en partie racheté par la présence de délicates fleurettes, brodées au point lancé en soie de couleur, tout autour des bouquets isolés et dans les vides de la croix.

Il nous reste à décrire un dernier parement très curieux, qui servait pour les cérémonies mortuaires. C'est une broderie au petit point, de trois rangs de crânes humains avec tibias, instruments de fossores en sautoir et semis de larmes; le tout se détachant en blanc sur fond noir. Au centre se dresse une croix Jaune, ombrée de verdâtre et de bistre, dont les bras supportent un suaire où s'étale le monogramme du Christ. Tout autour sont disposés les instruments et attributs de la Passion. L'échelle fait pendant à la colonne de la flagellation surmontée du coq. La lance (une lance de tournoi) et le bâton à éponge se croisent en sautoir. En haut sont figurés le soleil et la lune, ces emblèmes, des deux natures du Sauveur. En bas, sous une tablette qui porte l'arbre de la croix, sont brodés en soie jaune orange et en capitales romaines, ces trois mots : ora pro textrice (priez pour la brodeuse). Enfin, dans le haut du parement, sur quatre larmes, se lit encore, mais non sans peine, la date M-DC-LX-VII. Ces chiffres sont brodés en soie, d'une teinte jaune presque complètement décolorée.

En terminant cet inventaire de l'ancien mobilier de notre abbatiale, il convient de rappeler que de nombreux débris en avaient été relégués dans les bâtiments conventuels, devenus propriété particulière en 1791. Ils furent dispersés, vendus ou donnés, lors des démolitions opérées depuis la Révolution. Plusieurs fragments de bois sculptés ornent, paraît-il, des collections particulières à Saint-Etienne, et dans celle de M. le chevalier de Saint-Thomas était entrée, par don de M. Gambon, qui fut propriétaire de l'abbaye, une superbe plaque d'émail, un tryptique, qui, vers 1870, a passé à l'étranger.

IV

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. – DÉCORATION

I – SCULPTURE

La statuaire et la sculpture d'ornement, ces deux branches du même art, qui, dans les édifices du moyen âge et jusqu'au XVIIe siècle, c'est-à-dire jusqu'à la naissance des académies, ne se séparaient jamais de l'architecture à laquelle elles étaient tenues de s'adapter comme style et comme proportions, n'ont eu et ne devaient avoir, grâce aux prohibitions cisterciennes, qu'un rôle insignifiant dans la décoration de notre abbatiale.

II n'en fut plus de même dès le XVe siècle, et les travaux artistiques de l'abbé de La Fin aussi bien que ceux de Mme de Nérestang s'affirment encore à l'heure présente par quelques remarquables ouvrages et de nombreux fragments échappés, aux faits de guerre et au vandalisme de la mode ou des révolutions.

SCULPTURE D'ORNEMENT.

Nous avons déjà décrit la grande porte romane et sa décoration sobre, élégante, mais innaturelle et plate comme une gravure, procédant des inspirations syriaques rapportées par les Croisés des villes de Tyr, de Damas et surtout d'Antioche, la Cités refuge des arts grecs des bas temps.

Ce style hiératique et conventionnel avait, dès le XIe siècle, remplacé dans notre vieille Gaule romanisée les types antiques dégénérés; puis il s'était transformé totalement dès les premières années du XIIIe au souffle nouveau de la sculpture française, née de l'étude de la nature et de la flore indigène.

Or, depuis quelques années, nos architectes et nos ornemanistes contemporains le remettent en honneur, nous dirions même à la mode, ainsi qu'en témoignent les détails ciselés ou sculptés sur le métal, la pierre ou le marbre, dont ils revêtent notre mobilier civil ou religieux, les édifices de nos rues, de nos cimetières, et jusqu'à des temples considérables totalement orientalisés comme la nouvelle basilique de Notre-Dame-de-Fourvières. Les élégantes tigettes, les folioles grassement modelées, les bourgeons recourbés en crochets, les choux, les chardons réalistes, toutes ces fantaisies charmantes de notre art gothique français, aussi bien que les feuilles grecques de l'acanthe et du laurier si élégamment reprises et utilisées par la Renaissance, tout cela est en train de céder la place à la palmette innaturelle et aux combinaisons géométriques de l'Asie, dont on croit racheter la monotonie et la pauvreté d'invention par une addition non motivée de contreforts, de crénelages, par une profusion de détails et une exagération d'échelle fatigantes et d'un bon goût contestable.

On peut, sans sortir de notre région, vérifier ce sentiment de malaise à la vue des retables, des chaires à prêcher, des tombeaux édifiés en ces dernières années, des pièces d'orfèvrerie religieuse de fabrication lyonnaise, et des nombreuses décorations intérieures analogues à celle des église de Nandax en Roannais et de Notre-Dame-de-la-Roche, aux confins du Lyonnais, bâties par un très éminent artiste, M.Bossan, qu'avait fanatisé l'art oriental de la Sicile, et dont les productions ornementales font école aujourd'hui dans toute la province lyonnaise. Ces productions révélent un talent très personnel, toujours consciencieux. Le style en est élevé, surtout sévère et robuste, jamais tendre ni jamais élégant. Il exigerait donc des conditions spéciales d'adaptation, sans engouement et sans parti pris!...

Les récentes et si curieuses découvertes de la mission Dieulafoy, en Susiane et en Chaldée, ne pourront que favoriser ces nouvelles tendances décoratives en si réel désaccord cependant avec le goût et l'esprit français.

       Nos cisterciens devaient, par motif de simplicité tout autant que d'économie, s'attarder dans la tradition byzantine, mais ils ne pouvaient immobiliser, alors que s'épanouissaient autour d'eux le grand mouvement naturaliste du XIIIe siècle.

       Aussi bien l'art décoratif nouveau faisait-il, vers 1220, son apparition à la Bénisson-Dieu, avec le riche enfeu installé, dans la paroi extérieure de l'église sous le cloître par le comte de Forez Guy IV, pour sa mère Alice de Suilly.

Nous avons donné, dans un mémoire spécial [53] , l'histoire et la description de ce tombeau qui fut détruit au XVIIe siècle par l'abbesse de Nérestang. Il nous en reste le plus important fragment, le sarcophage, dont le couvercle est sculpté d'une croix processionnelle en relief, décorée de gemmes, de bouquets feuillus et d'un médaillon que remplit la figuration de l'Agneau. C'est un précieux objet d'art du plus pur style de XIIIe siècle. Arraché en 1884 à une destruction inévitable, il fait aujourd'hui l'ornement du musée archéologique installé dans l'église.

De la sculpture ornementale exécutée sous le gouvernement de P. de La Fin au XVe siècle, il ne reste que des débris rendus par les travaux récents et qui avaient été employés comme moellons par les maçons de Madame de Nérestang. - Un seul ouvrage de cette époque a survécu, c'est la niche-armoire ou baptistère dont nous avons parlé, qui ouvre à un volet de bois et fut installée dans la paroi de la chapelle Sainte-Marguerite. Son luxueux parement de pierre se compose d'un dais à arcatures et à accolades, amorti d'un haut fleuron feuillu et porté sur deux faisceaux de petits contreforts terminés en clochetons et en pinacles. Ce petit monument est du même âge, du même style mais d'un moins riche travail que la belle piscine d'Ambierle à couronnement ajouré en forme de diadème.

Quant à l'œuvre sculptée décorative du XVIIe siècle, elle se concentre dans la chapelle des Nérestangs, dans le somptueux retable de marbre précédemment décrit et deux vastes cartouches en pierre blanche encadrant des inscriptions sur marbre noir, surmontées de tête d'anges d'un fort relief. Ces deux compositions sont assises, l'une sur un faisceau de drapeaux, l'autre sur un groupe de fruits, de feuilles et de palmes.

STATUAIRE.

La statuaire fut au moyen âge le plus important et le plus populaire de tous les arts figurés qui, dans les édifices religieux, faisaient « l'office de leçon pour instruire, de sermon pour moraliser et d'exemple pour édifier », paraphrase du beau vers que le grand artiste de saint Denis, l'abbé Suger fit graver, du vivant même de saint Bernard l'iconophobe, au front de son abbatiale:

Mens hebes ad verum per materialia surgit.

Aussi sans parler de certaines cathédrales qui contenaient, comme les Notre-Dame de Chartres, de Reims ou de Paris, jusqu'à quatre et cinq mille statues de pierre, « il n'y avait pas jusqu'au XVe' siècle une seule église. tant petite fût-elle, qui ne « possédât trente, cinquante, cent figures, soit sculptées, soit peintes sur mortier « ou sur verre » [54] .

Dans notre abbatiale de la Bénisson-Dieu, point de statuaire avant le relâchement de la règle, c'est-à-dire avant le milieu de la période gothique.

Statue en bois de la Vierge. - Au XVe, peut-être même à la fin du XIVe siècle appartient une statue de la Vierge mère, adossée au retable de l'autel de Marguerite, au moyen d'un de ces socles violemment encastrés après coup, dont nous avons parlé plus haut. La statue est en bois dur; elle était peinte. Sa hauteur est de 1m40.

La Mère du Sauveur est debout, vêtue d'une robe avec surcot et ceinture d'orfévrerie posée très bas. Cette robe est très longue et cache la chaussure. L'ample manteau qui la recouvre en laisse voir tout le devant, car il n'est pas ramené sur l'un des bras mais seulement relevé de chaque côté comme au XIIIe siècle. Ses plis anguleux, épais et profondément refouillés sont d'une exécution extrêmement énergique.

Sur la tête est posée une couronne ovale et haute, d'où s'échappe, sans le voile traditionnel une abondante chevelure, non plus éparse et flottante, mais tressée en torsades épaisses qui tombent sur les épaules [55] .

Le visage, aux traits accentués jusqu'à la dureté, a la distinction et la gravité des sculptures du XIIIe siècle.

La Vierge regarde devant elle, comme pour montrer que c'est à elle qu'il faut adresser les prières, mais non à l'Enfant qui joue avec un oiseau, qu'elle tient par un pied et porte étendu sur le bras gauche sans lui sourire.

Cette statue est un problème artistique et chronologique que nous ne pouvons approfondir ici.

C'est une aristocratique et très noble dame, grande, mince, à l'air méditatif presque divin. Ce n'est pas la mère tendre et charmante des bas temps gothiques. Ce n'est pas le type si gracieux, si féminin de la sainte Catherine peinte à Saint-Romain-le-Puy en Forez. Et pourtant, le réalisme du XVe siècle s'y révèle déjà dans cette étude un peu cambrée et le ventre saillant, dans les détails de la toilette, de la coiffure, dans l'absence peu commune du voile qui eût caché les torsades trop mondaines, dans les plis cassés de la robe flottante!

Comme technique, l'ouvrage laisse certainement à désirer ; ce n'est point un chef-d'oeuvre. Le visage est un peu plat, les mains médiocres, la tête de l'Enfant trop forte et ses jambes nues mauvaises. Vivant à une époque où, par suite de l'interdiction de l'étude du nu, l'art chrétien négligeait forcément la beauté plastique du corps humain, notre imagier, comme tous ses contemporains, s'est préoccupé surtout de la beauté morale. Il a cherché l'idéal religieux. Il a donné aux traits de la Vierge une incontestable distinction, à son attitude la simplicité et le naturel, aux draperies un faire monumental. L'oeuvre pèche peut-être par un excès d'énergie dans l'exécution, mais on aime à y constater 1'absence complète de vulgarité.

L'artiste fut en somme un croyant et un penseur plutôt qu'un savant. Il n'appartint pas à l'école franco-flamande de Bourgogne. Il fut peut-être influencé par les Italiens d'Avignon? Mais son oeuvre reste dans tous les cas bien française et semble devoir être, sans trop d'erreur, donnée au mouvement artistique qui avait pris naissance à la fin du règne de Charles V.

Calvaire et crucifix de bois. - Ces deux ouvrages viennent dans l'ordre chronologique après la Notre-Dame que nous venons de décrire.

La sculpture sur bois en si grande vogue au XIVe et XVe siècle, aussi bien en France que dans les Flandres, qu'en Allemagne et en Italie, a produit un nombre immense d'ouvrages d'art: statues de toutes dimensions, stalles, retables, scènes de haut, de bas relief et plus rarement de ronde bosse, destinées à l'ornementation des églises, des chapelles et même des oratoires privés. Et la caractéristique de toute cette statuaire c'est qu'elle est ordinairement peinte et dorée.

Dans les comptes des rois Charles V, Charles VI, du duc Philippe le Bon, on rencontre de nombreuses mentions de ces pièces portatives dont les spécimens sont aujourd'hui devenus fort rares en dehors des collections et des musées.

Sans sortir du Roannais nous possédons cependant à Ambierle un splendide monument de cet art du bois, du dernier temps du moyen âge, et la Bénisson-Dieu, indépendamment de la belle statue gothique dont nous venons de parler, conserve un grand Crucifix et un groupe de six personnages figurant la scène du Calvaire, qui sont deux ouvrages de la seconde moitié du XVe siècle.

Le Calvaire est de petite dimension : 0m40 sur 0m55. Au sommet d'un bloc verdâtre taillé en forme de petite colline sont plantées les trois croix. Le larron de gauche est complètement mort ; sa tête et son corps pendent inertes. Celui de droite regarde le Sauveur auquel il adresse la suprême invocation que l'on sait. Ces deux suppliciés sont attachés par des cordes à des croix en Tau. Le Christ n'est fixé à la sienne que par les trois clous adoptés, contrairement aux anciennes traditions, par les premiers peintres Italiens du XIIIe siècle [56] .

La Madeleine agenouillée serre amoureusement dans ses bras l'arbre de la Croix, au pied duquel est déposée l'urne des parfums, et, sur un long, manteau rouge terminée en nombreux plis cassés, flotte son ample chevelure d'or.

Au premier plan saint Jean et la Vierge sont debout; suivant le récit évangélique. Celui-ci, les mains croisées sur 1a poitrine, lève ses regards vers le Maître. La Vierge a 1a tête inclinée. Elle pleure. C'est la personnification du la douleur: ce n'est pas la Mère intrépide de saint Ambroise, si magistralement peinte sur les vitres d'Ambierle [57] .

Cet ensemble est remarquable par la verité des attitudes et par l'intensité d'expression. Il fait prier.

L'imagier qui l'a taillé appartenait à l'école de la Bourgogne, comme le démontrent les types de ses personnages. C'était un artiste de valeur, car les corps nus des trois crucifiés sont traités avec une science fort rare à cette époque et il travaillait dans la deuxième moitié du XVe siècle. La forme pointue de la chaussure de la Vierge marque la transition entre la poulaine proscrite par Louis XI et la spatule exagérée des premiers temps de la Renaissance.

Le Crucifix est malheureusement placé trop haut dans la grande nef en face de la chaire. Il faut souhaiter qu'on l'installe bientôt dans une autre partie de l'église où il sera facile de l'étudier. Car c'est une pièce qui se recommande par sa valeur esthétique et par des dimensions peu ordinaire, puisqu'il mesure plus de 1m 35 en hauteur.

Dans un inventaire des joyaux et vaisselle d'or et d'argent du roi Charles VI, daté de 1418, se trouve cette mention : « Un image de bois de Nostre Dame qui tient son Enfant par le pié; - un cruxefilz de bois sur un arbre vert brossonné. »

            L'arbre de notre crucifix est en effet de couleur verte et brossonné, c'est-à-dire arrondi et ébranché. C'est l'arbre historique, réel, l'arbre du Vexilla Regis, composé par saint Fortunat, l'arbre des vitraux de Bourges, de Chartres et de Paris.

Il est haussé sur un bloc figurant un rocher avec les accessoires svmboliques habituels des os et du crâne du premier homme.

Le Christ aux bras horizontaux est bien mort. Sa tête couronnée d'épines penche du côté droit. Elle est surmontée d'un disque, d'où partent dix rayons alternativement droits et flamboyants et dont le champ semble vide d'un ornement, probablement d'une petite croix qui lui était adhérente et aura disparu. Avons-nous là un soleil, une gloire emblème de la lumière du monde ? Y pourrait-on voir un véritable nimbe ?...

De la présence de ces rayons lumineux, dont l'usage en iconographie se généralise surtout à la Renaissance [58] , on pourrait tirer un argument pour rajeunir ce crucifix, mais il faut persister à le donner au XVe siècle. Car, outre qu'à cette époque, il n'est pas rare de trouver les flammes emblématiques, on ne rencontre plus en deçà de la période gothique l'arrangement symétrique si caractéristique du linge qui ceint les reins du Christ, les si longues mèches pendantes de la chevelure et l'anatomie spéciale du torse et surtout des bras. L'imagier qui a sculpté le crucifié de la Bénisson-Dieu avait vu ceux des primitifs de Florence, de Lorenzo Monaco aux Uffizi et de Taddeo Gaddi à la chapelle espagnole de Santa Maria Novella.

Statue de Dieu le Père.- L’occulus de la façade de l'église était obstrué jusqu'à ces derniers temps par un massif bloc de pierre sculpté qui, à une époque inconnue y a avait été déposé sans aucun scellement, sans aucune précaution pouvant en prévenir la chute? A peine visisible à une telle hauteur et dans de si mauvaise conditions, ce fragment n'avait jamais attiré l'attention d'une façon sérieuse. Par suite des récents travaux de restauration, l'occasion nous ayant été offerte de le voir de près et de juger de sa valeur artistique, nous obtînmes de le faire de le faire enlever de sa périlleuse position et de le déposer provisoirement sur l'aire du grand comble, d'où il vient, il y a deux mois, d'être descendu au rez-de-chaussée de l'église non sans de très sérieuses difficultés que seul pouvait surmonter le zèle du consciencieux et habile entrepreneur M. J. Robin.

Le problème à résoudre : Quelle fut la destination primitive de cette statue de la Renaissance ? Ornait-elle extérieurement la partie supérieure de la façade ? Faisait-elle partie de la riche décoration exécutée sous l'abbé de La Fin dans l'abside, d'où on l'aurait enlevée lors des destructions du XVIIe siècle pour la reléguer sous les combles ? Les textes ne fournissent aucune réponse à ces questions.

Toutefois, à l'appui de la première opinion, on peut admettre que l'architecte de P. de La Fin, ayant dû exhausser considérablement le pignon de la façade pour lui faire supporter le comble suraigu qu'il venait d'édifier, put vouloir en racheter la nudité en y accolant extérieurement une statue portée sur un socle en saillie [59] .

Puis, lorsqu'au XVIIe siècle cette partie supérieure du mur de façade fut, pour une cause ignorée, reconstruite à nouveau [60] , comme en témoigne la présence dans la maçonnerie d'un linteau brisé, timbré des armes de La Fin dans un cartouche polygonal, les maçons n'osèrent pas mettre en pièces la statue et, pour n'avoir pas à la descendre ou à en charger les voûtes, la logèrent tant bien que mal dans l'oculus qu'ils venaiant de construire.

Cette hypothèse paraît être la plus probable. Car, en supposant que cette sculpture ait primitivement décoré l'abside, il serait impossible de justifier sa translation ultérieure sous les combles au prix d'une ascension très coûteuse et sans aucune utilité.

Quoiqu'il en soit, sa récente installation au rez-de-chaussée de l'église la met dorénavant à l'abri de nouvelles vicissitudes tout en en permettant facilement l'étude.

Seconde question: Quel est le personnage représenté par cette statue et qui porte le costume et la tiare des Papes?

On sait que, soit par la difficulté d'en composer une image suffisamment divine, soit par suite des haines et des prohibitions des Gnostiques, Dieu le père est absent sur les monuments figurés jusqu'au XIIe siècle et ne se révèle jusque-là que par le bras ou la main tantôt bénissante tantôt rayonnante qui sort d'un nuage. Cette main persista même jusqu'au siècle dernier.

Les premières figurations précises se trouvent à Notre-Dame-du-Port de Clermont, à Saint-Savin, puis à Chartres et au Campo Santo de Pise dans les fresques d'Orcagna. On les rencontre ensuite dès le XIIe siècle sur quelques trabes ou jubés des cathédrales et ils ornent presque tous les missels gothiques ainsi que le constate l'évêque de Mende dans son Rational, et après lui les procès-verbaux de visites diocésaines.

Jusqu'au XIVe siècle toutefois la figure du Père se confond avec celle du Fils. Le globe ou le livre seuls les distinguent.

Mais dès cette époque le naturalisme, l'idée humaine, tendent à prédominer sur l'idée liturgique de la coéternité et de la similitude d'âge des deux personnes. Chacune d'elles reçoit une représentation spéciale. Le Fils est plus jeune, et 1e Père est un vieillard à longue barbe et à puissante chevelure. C'est l'Ancien des jours de la Bible ; c'est une émanation du majestueux Pantocrator des grandes coupoles byzantines.

Durant le XVe siècle italien, ce vieillard s'incarne dans le type social qui est alors le plus respecté et le plus éminent, celui du Pape. Il en revêt le costume, il en adopte la tiare cerclée de couronnes royales.

Les guerres d'Italie popularisent en France cette figuration spéciale dès la fin du XVe siècle. Puis notre Renaissance, s'inspirant des, maîtres de Rome et de l’Ombrie, substitue au vieillard infirme, à face ridée et tête chauve des manuscrits ou des statues du moyen âge, une admirable figure de 1'Eternel, rajeunie, sereine, imposante, à barbe plantureuse et longue chevelure blanche.

C'est très exactement ce dernier type que nous offre la statue conservée à la Bénisson-Dieu qui est sculptée dans un calcaire blanc, très tendre, analogue à la pierre d'Apremont en Berry. Elle est assise et, malheureusement incomplète des jambes et des avant-bras qui ont été brisés et ont disparu.

La tête intacte est celle d'un homme dans la plénitude de l'âge, mais non d'un vieillard. Le visage aux traits réguliers, calmes, avec le nez droit, la bouche fine légèrement entr'ouverte, est empreint d'une majestueuse sérénité. La barbe descend très bas sur la poitrine et s'étale sur les épaules.

Notre personnage est coiffé de la tiare pontificale, qui est ce bonnet rond et pointu, avec pierreries, qui fut adopté depuis Jean XXII au commencement du XIVe siècle et que les Italiens appellent il tri regno.

Les plis gros et simples du vêtement de dessous décèlent un tissu de laine. Ce n'est donc pas l'aube ou chemise de toile primitive mais la robe de laine blanche, devenue habit de cérémonie. Et par dessus s'étale une vaste chape ou pluvial, retenu par une patte à agraffes que la barbe cache en partie.

La chayière en X, sur laquelle est assis le personnage, paraît être le faldistoire, siège de parade usité dans les cathèdrales dès la fin du XVe siècle pour la célébration des messes pontificales [61] . Ces accoudoirs sont recourbés, dont un seul est intact, se terminent en pommettes de velours à franges de soie, et leurs plats sont ciselés d'un élégant rinceau Renaissance.

C'est donc bien des premières heures de notre Renaissance, des dernières années de l'abbé de La Fin, mort en 1504, qu'il faut dater l'objet d'art que nous venons de décrire.

Il convient d'ajouter que, comme technique, il est absolument remarquable. La profondeur des évidements, le fini du travail terminé à la rape, la perfection des détails, dénotent une rare science de praticien bien servie d'aileurs par l'homogénéïté et l'extrême finesse du grain de pierre.

Reste à résoudre un troisième et curieux problème d'iconographie : Cette figure du Père éternel est-elle bien une de ces MAJESTES, que le moyen âge peignait sur ses missels en tête des prières du Canon et dont il plaçait souvent, sur les trabes ou les jubés, la statue devant laquelle s'inclinaients les moines ou les clercs se rendant dans le choeur? [62] Nous ne le pensons pas.

On remarque en effet sur la barbe une cassure de la pierre, preuve certaine de l'existence d'un accessoire qui lui était soudé et qui a été brisé. D'autre part, la position symétrique des bras tendus en avant et à la même hauteur, indique que les mains tenaient ou portaient cet objet; on peut donc admettre avec toute vraisemblance que nous avons dans cette statue une de ces représentations, si nombreuses dans les derniers temps du gothique, qu'on appelait les Trinités, et figurait le Père assis soutenant dans ces mains les bras de la croix où le Fils est attaché. Ici le Saint-Esprit en colombe était sans doute posé sur la partie supérieure de l'arbre, que pour plus de solidité, notre sculpteur avait fait appuyer sur le bas de la barbe où il faisait corps avec la pierre, à l'endroit où se remarque la petite cassure actuelle.

Un dessin donné par Didron [63] , d'après une peinture sur bois du XVe siècle de l'abbaye de Saint-Riquier, fournit un spécimen complet de ces figurations. Dans notre voisinage il en existe un autre non moins intéressant donné par une lettre historiée du manuscrit de l'ancien prieuré de Saint-Victor-sur-Rhins ; on y voit le Père assis sur un trône de forme bizantine [64] . Il soutient, la croix en Tau sur laquelle pend le crucifié, et la colombe aux ailes déployées descend de l'une à l'autre des deux Personnes, formulant ainsi le dogme de la procession du Saint-Esprit.

A l'appui de cette solution, il y a lieu de remarquer que dans le bas moyen âge qui est l'époque de notre statue, les Majestés ne se rencontrent plus qu'en images. dans les livres liturgiques, où leur présence d'ailleurs devient générale et régulière. comme le prouve, pour notre région Forézienne notamment, un très curieux procès-verbal de visite de 1469 [65] .

Il faut en outre tenir compte de la dévotion spéciale à la Sainte Trinité de l'abbé de La Fin qui, dans les derniers temps de sa vie, en 1496, construisait, aux limites du Forez et du Bourbonnais, la collégiale de Montaiguet qu'il plaçait sous le patronage « de la glorieuse Vierge Marie, de sainte Anne, de saint Edmond et de la sainte et indivisible Trinité. » Et dans cette église, suivant son chroniqueur M. de Quirielle, 1e pieux abbé plaçait « une très belle représentation sculptée de la Sainte Trinité [66] . »

Groupe en pierre de sainte Anne et de la Vierge. - Ce groupe, de 1m35 de hauteur, décore l'autel de La Fin ou de Sainte-Marguerite où il fait un pendant avec la Vierge gothique de bois. Il est sculpté dans une pierre calcaire tendre de même nature que celle de la statue de Dieu le Père.

Les deux personnages sont debout. La Vierge, qui presse dans ses bras l'Enfant, méconnaissable tant il est mutilé, a la stature d'une toute jeune fillette. Ses cheveux séparés sur le front sont coupés court de façon à former une sorte de bourrelet tout autour de la tête, suivant la mode du temps de Charles VIIII. Elle est vêtue d'une robe à poignets ajustés que recouvre un ample manteau. fait d'une étoffe épaisse et dont un des côtés est ramené par la main qui supporte l'Enfant.

Sainte Anne tient un livre sous le bras droit et pose une main sur l'épaule de sa fille. Sa tête est serrée dans une coiffe qui cache la chevelure ainsi que le front et encadre le visage jusque sous le menton, d'où elle se continue en guimpe plissée sur la poitrine. Cette coiffure de veuve se complète d'un voile de linge qui s'étale sur les épaules. Et la robe est entièrement cachée par le manteau dont un des bords, est ramené en avant par la main qui tient le livre.

On retrouve dans cet ouvrage la science du praticien qui a sculpté la statue de Dieu le Père. Mêmes évidements hardis et surtout même souplesse de modelé et de travail dans les draperies qui sont supérieurement rendues. Mais comme valeur artistique, comme style, ce groupe est très inférieur aux statues déjà décrites. Les traits vulgaires, épais procèdent de l'art flamand dégénéré, et les élégances de la Renaissance ne se révèlent que dans les mains fines et aristocratiques de la petite Vierge qui sont d'un véritable artiste.

 Ce groupe des premières heures de la Renaissance, comme l'indiquent les détails d'ajustement et de chaussure, fut exécuté sur la fin de la vie et par les ordres de P. de La Fin dont le nom est tracé en relief sur la plinthe qui forme corps avec le bloc sculpté.

Statue en marbre de Notre-Dame dans la chapelle de Nérestang. - Nous voici bien loin de l'idéal religieux du moyen âge, des formes sévères et distinguées de la Vierge de la chapelle de Sainte-Marguerite. Cette Notre-Dame du XVIIe siècle n'est plus une divinité, c'est une femme. C'est à la fois une matrone aux formes plantureuses et une grande dame au port majestueux et théâtral. Sous son ample péplum drapé d'une façon académique, on ne devine aucune anatomie. La main droite porte l'Enfant aux formes grasses mais correctes, qui tient le globe du monde.

Cette statue est un travail italien commandé à Gênes par Claude de Nérestang pour orner la chapelle qu'il venait de fonder à la Bénisson-Dieu avec sa soeur l'abbesse Françoise [67] . Le socle de marbre en forme de cippe porte gravé sur sa face principale l'écu de Nérestang entouré du cordon de Saint-Michel et surmonté de deux mains de bronze enlacées qui soutiennent deux coeurs enflammés. Le tout cantonné des monogrammes du Christ et de la Vierge avec la date de 1637. Aux angles les deux Phi de Philibert de Nérestang, le chef de cette illustre maison, alternent avec deux C et une F enlacés, initiales de Claude et de sa soeur l'abbesse.

Hauteur de la statue, 1m20. Hauteur du socle, 0m60.

Rien à dire de la petite Vierge en pierre posée dans une niche élevée au-dessus de celle dont nous venons de parler. C'est un travail correct, d'une valeur surtout décorative et due, sans aucun doute, au ciseau de l'ornemaniste italien qui a modelé les angelots bouffis et les statuettes ronde-bosse disséminés sur le retable.

II. – PEINTURE

Proscrite par les us de Citeaux aussi bien que les autres arts figurés, la peinture ne fait, elle aussi, qu'à la fin du moyen âge, son apparition dans notre abbatiale.

PEINTURES MURALES.

Fresque du Calvaire. - A la période gothique semble appartenir une page d'une réelle valeur artistique, peinte dans la première chapelle, à droite de l'entrée et malheureusement aux trois quarts détruite ou cachée sous d'épais badigeons. Elle représente la scène de la crucifixion. Sur une croix mince et élancée est attaché le Christ qui vient d'expirer, et parmi les personnages presqu'invisibles debout à ses côtés, on reconnait l'apôtre saint Jean qui tient un livre.

Cette peinture de grand style, d'un faire large et habile, est traitée par teintes ­plates avec redessinés foncés très justes et très énergiques. L'enlèvement du badigeon serait une opération délicate, mais non pas impossible. Elle sera, parait-il, très prochainement tentée.

Peintures murales du XVIIe siècle. - Lorsque l'abbesse de Nérestang fit parachever la décoration de son abbatiale, elle chargea son frère, en résidence à Cazale, de lui envoyer quelques-uns des maîtres peintres qui couvraient alors de fresques et de détrempes les églises de Lombardie. Leurs travaux à la Bénisson-Dieu furent considérables.

Une de ces oeuvres présente un intérêt artistique des plus sérieux, c'est la grande fresque qui surmonte l'autel majeur, au fond de la nef principale.

Sur un immense ciel sombre, triste, que réchauffent à l'horizon les derniers feux du couchant, se détache en clair le corps lumineux du Christ suspendu à une croix d'une hauteur inusitée, et dont l'arbre n'est pas équarri jusqu'au sol. En bas trois personnages : d'un côté la Vierge debout, soutenue par saint Jean ; de l'autre la Madeleine accroupie levant les yeux vers le Sauveur.

Cette page est dramatique et a grand air. Elle est manifestement inspirée, pour ne rien dire de plus, des calvaires si saisissants du couvent de Saint-Marc à Florence. Le faire en est large, le dessin correct, et la tonalité d'une remarquable transparence. Point de tons crus. Et certaines colorations, comme celle de la robe bleu turquoise de la Madeleine, font penser aux merveilleux plafonds du Véronèse dans le palais ducal de Venise.

Pour rendre à l'oeuvre sa vibration éteinte sous l'action du temps, un fresquiste italien d'un incontestable talent, M. Zacchéo, entreprit. En 1859, d'en raviver tous les redessinés sombres, mais sans toucher anx teintes. L'opération, conduite avec conscience et habileté, a bien donné le rajeunissement désiré, mais en dépassant le but par l'accentuation outrée de certains détails anatomiques qu'il eût plutôt fallu calmer.

Rien à dire des évangélistes et des apôtres peints de chaque côté de cette grande crucifixion et dans les quatorze niches de la nef. Les tonalités sont lourdes, sans transparence, et les têtes franchement médiocres sont des types d'atelier.

Il n'y a pas non plus à s'arrêter longtemps devant l'oeuvre, si considérable pourtant, peinte à fresque et à la colle sur les voûtes et toutes les parois de la chapelle de Nérestang.

Sa caractéristique est tout à la fois l'habileté la moins contestable et l'absence de tout sentiment religieux, de tout idéal dans les formes et les types qui semblent procéder de l'école d'Anvers. C'est de l'art païen. C'est un ensemble de coiffures ridicules, de visages laids et vulgaires, et d'anatomies exagérées, le tout d'ailleurs énergiquement brossé et d'un coloris quelquefois harmonieux.

Quatre petites figures de la Justice, de la Tempérance, de la Force et de la Prudence, peintes à la colle en camaïeu bleuâtre, de chaque côté de l'autel, ne doivent pas être de la main qui a exécuté les fresques. Ce sont les meilleurs morceaux de la chapelle ; mais leur altération due à l'humidité est absolument sans remède.

Autre décoration murale de paysages et d'ornements courants peints en détrempe sur toutes les parois, les voûtes et les ébrasements des baies de la petite sacristie construite par l'abbesse de Nérestang. C'est un travail plus curieux qu'artistique. On a voulu y découvrir la représentation de quelques villes ou châteaux du voisinage : Charlieu, Saint-André-d'Apchon, Montaiguet, Saint-Paul-de-Vezelin... C'est de la pure fantaisie. Il y a, il est vrai, une petite vue très exacte, et partant très précieuse du monastère de la Bénisson-Dieu, datée de 1646 et que nous avons reproduite dans ce mémoire. Mais, à part ce panneau menacé d'une très prochaine destruction, tout le reste n'a aucune valeur documentaire.

TABLEAUX PORTATIFS.

Sur les murailles des nefs et du choeur sont disséminées quelques toiles d'une valeur médiocre. Ce sont pour la plupart, des oeuvres du XVIIe siècle. Elles sont d'ailleurs en assez piteux état et réclameraient un nettoiement et un vernissage immédiats. En voici le catalogue sommaire:

Apparition de la Vierge à un religieux et à une religieuse de l'ordre de Cîteaux.

-Deux copie passables d'après Le Poussin; scènes de l'histoire de Moïse. –

Assomption de la Vierge qui est debout, les pieds posés sur le globe et le serpent. Son manteau bleu flottant est remarquablement traité. Extrémités d'un dessin correct, type peu divin, tonalité douce....

C'est une bonne page sortie de l'école française des Vouet, des Stella des La Hire.

Dans le grand retable du choeur, le panneau du bas est occupé par une Annonciation, peinture italienne dans la manière du Guerchin, avec oppositions violentes d'ombre et de lumière sans aucun clair obscur. - Au sommet du retable, une petite toile d'une coloration claire, opaline, paraît être la meilleure pièce de toute la collection, autant du moins qu'on en peut juger à une telle hauteur. Elle représente l'Enfant-Dieu debout et nu, tenant la boule du monde d'une main et de l'autre bénissant à la latine.

III. - PEINTURE SUR VERRE

Le chapitre 81 des Instituts du chapitre général de Cïteaux, promulgués en 1134, prohibait expressément l'usage des vitres de couleur dans les églises. Et en 1182 ordre était donné par le chapitre général de détruire dans un délai de deux ans tous les vitraux peints établis contrairement à cette prescription.

   Le moine architecte de la Bénisson-Dieu, pour obéir à la règle, ferma les baies de l'église au moyen de verres incolores sertis de plombs disposés de manière à former de riches dessins.

   Deux fragments incomplets et peu solides de cette vitrerie primitive sont encore en place dans les fenêtres hautes de la grande nef du coté nord. Les plombs sertisseurs y donnent des combinaisons ingénieuses, rappelant celles des claires-voies en pierre ou en bois des édifices romans construits du VIIIe au XIe siècle. Pas de dessins rectilignes, mais d'élégants entrelacs de cercles et de quarts de cercle. Les verres blancs, mais verdâtres ; ton qui n'est pas une patine donnée par le temps mais bien une véritable coloration contribuant singulièrement à 1’harmonie du vitrail. L'un des panneaux est égayé de quatre points de verre de couleur qui sont régulièrement distribués.

Il est à peu près certain que cette vitrerie primitive ne reçut aucune modification jusqu'au XVIe siècle. A cette époque Gilbert de La Fin, chanoine de Montbrison, deuxième abbé commendataire, fit fermer une des deux fenêtres du choeur des religieux, devenu le sanctuaire actuel, d'un vitrail blanc, qui n'est qu'une simple  mise en plomb rectiligne. Il est timbré de l'écu de La Fin surmontant 1e nom de Gilbert et la date de 1521.

Son successeur, Antoine de Lévis-Châteaumorand, a marqué son passage au gouvernement du monastère, de 1540 à 1558, par l'installation de quatre vitraux encore en place dans le collatéral nord. Sur une surface incolore, ils présentent les armoiries de ce troisième abbé commendataire, entourées d'une couronne de verdure et qui se lisent ainsi: Ecartelé au 1er et 4eme d'or à trois chevrons de sable, au 2e et 3e de gueules à trois lions d'argent, armés, lampassés, couronnés d'or, avec la devise: Domus Levi benedicite Domino.

Quant à l'abbesse de Nérestang, il ne paraît pas qu'elle ait apporté aucune modification à cette décoration de l'église. Elle se contenta de faire peindre ses armes sur une des grandes baies de la chapelle qu'elle venait de construire. Au milieu d'un panneau de verre rouge cerné d'une frise jaune, s'étale l'écu losangé des Nérestang avec la crosse en pal. Il est entouré d'un chapelet blanc à croix d'or et de deux palmes vertes enlacées.

Il convient d'ajouter que le programme des dernières réparations en cours, comprend le rétablissement de toute la vitrerie haute sur le modèle des deux panneaux romans si heureusement conservés.


IV.-CÉRAMIQUE

La terre cuite émaillée et décorée de dessins obtenus, soit par gravure, soit par incrustation de pâtes colorées, a joué un rôle très considérable à la Bénisson-Dieu, aux deux époques principales de son histoire monumentale, c'est-à-dire a la fin des XIIe et XVe siècles.

CARRELAGE ÉMAILLÉ DU XIIe SIÈCLE.

Il est généralement admis qu'à partir de la période Carlovingienne, les pavages en briques colorées remplaçaient souvent en France, pour des usages vulgaires, les coûteuses mosaïques de marbre ou les dalles gravées et incrustées. Les textes le prouvent. On ne possède pas cependant d'échantillons de ces carrelages antérieurs au XIIe siècle. Mais à cette époque ce genre de décoration était devenu d'un usage si général, qu'à l'instigation de saint Bernard, dont nous avons rapporté plus haut les censures, les statuts de Cîteaux avaient dû, par un article spécial, proscrire dans les églises de l'Ordre les pavages émaillés lorsqu'ils étaient historiés ou polychromes [68] . En 1235, l'abbé du Gard ayant violé cette règle fut condamné à démolir son pavé [69] .

Les cisterciens pouvaient donc faire usage de ces mosaïques en terre vernissée à la condition qu'elles fussent monochromes ; et c'est ce qui avait eu lieu vraisemblablement pour notre abbatiale lors de son achèvement ; mais on n'en possédait jusqu'à ces derniers temps aucune preuve positive écrite ou matérielle.

Il existait bien dans diverses parties de l'église, notamment dans la sacristie et aux alentours de l'autel de saint Bernard, des spécimens de carreaux rouges. très usés décorés de dessins géométriques, gravés et offrant même quelques traces d'un vernis noirâtre. On n'en pouvait cependant rien conclure de précis, lorsqu'en 1884, au cours des fouilles rendues nécessaires pour relever dans la chapelle du calvaire une plate-tombe d'Humbert de Lespinasse, on rencontra à la profondeur de 0m43 au dessous du sol actuel, un pavage de beaux carreaux recouverts d'un émail uni très sombre avec dessins au trait, donnant par leur juxtaposition l'aspect des anciennes mosaïques. Quelques-unes de ces grosses briques de forme barlongue, étaient destinées à former des encadrements et présentent plusieurs de ces motifs courants de bordure si fréquents dans les manuscrits du haut moyen âge. D'autres, plus intéressant encore sont gravées d'une suite d'arcades plein cintre, véritable portique roman qui fait date pour ce pavage, sans parler de la teinte vert-noir unie de la glaçure qui ne se rencontre que jusqu'aux premières années du XIIIe siècle.

Ce carrelage est, on le voit, contemporain de l'achèvement de notre abbatiale, dont il dut sans aucun doute décorer que le chevet et la partie des nefs composant la clôture des profès. Car, dans le surplus de l'église réservé à la foule des frères, des paysans et des étrangers l'émail plombifère n'eût offert qu'une durée trop éphémère.

Les travaux de réfection du plancher du choeur actuel ont amené, en avril 1889, la découverte de nouveaux fragments de ce curieux carrelage; et toutes ces épaves sont aujourd'hui déposées dans la chapelle-musée de l'église.

CARRELAGE INCRUSTÉ DU XVe SIÈCLE.

Par sa sévère et sombre coloration monochrome, ce pavage roman ne pouvait s'harmoniser avec l'élégante ornementation réalisée dans l'abside et le choeur à la fin du XVe siècle. L'abbé de La Fin le fit enlever et remplacer par un somptueux carrelage historié dont il existe quelques spécimens intacts dans les collections particulières et les musées de Roanne, de Montbrison et de la Bénisson-Dieu dont nous donnons la reproduction.

Ces be!les briques polychromes sont carrées, mesurant 0m27 sur 0m28 et 0m05 d'épaisseur. Elles portent au centre l'écu des La Fin : d'argent, à trois fasces de gueules, à la bordure engrelée du même, avec la mitre, la crosse et deux oiseaux debout et affrontés comme supports. La frise d'encadrement est remplie par quatre phylactères. Sur celui du haut, on lit en capitales gothiques abâtardies les mots : LAUS DEO ; sur, celui du bas : P. LA FIN et sur les deux autres : LOUENGE A DIEU. -Tous les traits du dessin et des inscriptions se détachent en rouge sur fond jaune. Ces deux tons sont obtenus par incrustation. Alors que l'argile rouge était encore molle, on y pratiquait au moyen d'une estampille matrice, des creux et des reliefs correspondant aux dispositions du décor; la partie creuse était alors remplie d'une couche mince d'engobe blanc, et la pièce recevait un vernis plombifère translucide qui, par la cuisson, colorait en jaune le fond blanchâtre.

La suppression du chevet de l'église au XVIIe siècle et la surélévation du choeur ont amené la destruction de ce riche carrelage dont les débris ont été jetés aux gravois ou employés dans les murs construits à cette époque. La récente démolition de quelques-unes de ces maçonneries a déjà fait retrouver plusieurs de ces carreaux malheureusement mutilés. L'enlèvement prochain des cloisons qui, depuis deux siècles, ferment partiellement les baies du collatéral sud, sera très probablement l'occasion de nouvelles et précieuses découvertes.


TOITURE ÉMAILLÉE.

Pour couvrir l'immense charpente qu'il venait de poser sur l'abbatiale, P. de La Fin fit émailler de quatre couleurs bien tranchées, vert-bouteille presque noir, vert d'émeraude, jaune brillant et brun très chaud de ton, des tuiles plates à crochet furent disposées en compartiments losangés. Chaque case du vaste damier contient une croix grecque, dont les bras sombres, égayés de croisillons brillants, donnent l'aspect d'un travail d'orfèvre. La couleur jaune, la seule qui n'ait pas résisté, a passé au rose tendre. Les autres tons sont restés solides, et, fondus sous la patine du temps, ils composent maintenant un ensemble d'une admirable harmonie [70] .

Au point de vue technique i1 faut bien remarquer que nous n'avons plus ici une simple glaçure transparente, mais le véritable émail stannifère dont en plein XVe, siècle Luca Della Robbiat le Florentin venait d'inventer l'application aux ouvrages de terre pour les rendre inaltérables. Mais cette invention ne fut-elle pas plutôt une résurrection de procédés oubliés ? C'est l'opinion que fait naître la vue des pièces de céramique asiatique exhibées au Louvre. La similitude avec nos terres émaillées est saisissante. C'est à croire que nos tuiles de la Bénisson-Dieu sortent des ateliers qui ont produit longtemps avant l'ère chrétienne les revêtements en briques émaillées des palais de Darius I et d'Artaxercès Mnémon.

Une dernière question resterait à résoudre: Les terres cuites que nous venons de décrire furent-elles importées ou fabriquées à la Bénisson-Dieu ? Seule une découverte de textes précisera la réponse.

Toutefois étant donnée l'importance que l'art de terre ne cessa d'occuper statutairement dans toutes les abbayes cisterciennes sans exception, on peut affirrmer à priori que notre monastère posséda dès le principe dans son enceinte un établissement céramique, qui reçut sous l'abbé de La Fin une notable extension, et d'où sont sortis tous les carrelages artistiques et les tuiles émaillées dont on a rencontré des échantillons ou qui sont encore en place à Ambierle, à Montaiguet, à Saint-André, à Charlieu, et autres châteaux ou cités de la région.

V

L'ÉGLISE DE LA BÉNISSON-DIEU. - TRESOR ET PIERRES TOMBALES

I – TRÉSOR

En l'année 1790, le 27 juillet, peu de mois après le décret de la Constituante qui avait prononcé 1a confiscation des biens du clergé, quatre délégués du district de Roanne et de la municipalité de Briennon, procédaient à l'inventaire des titres meubles du monastère de la Bénisson-Dieu en présence de la nouvelle abbesse Mme Emilie-Thérèse de Saqui de Tourès, qui, six mois auparavant venait de succéder à Mme Marie-Thérèse de Jarente de Sénas.

Il résulte des déclarations consignées dans le procès-verbal. que la plus grande partie de l'argenterie de l'église avait été envoyée à la Monnaie. On sait d'autre part que plusieurs des plus précieux reliquaires avaient été préalablement confiés à la garde d'une pieuse famille de la localité « qui, après les avoir sauvés du naufrage révolutionnaire les restitua plus tard à la paroisse » [71] .

Le rapprochement de ces deux circonstances explique comment les citoyens délégués ne trouvèrent à mentionner que trois calices, un ostensoir, un ciboire et deux petits reliquaires. Il explique aussi la disparition de tous les vases sacrés, paix, crucifix, croix processionnelles, garnitures d'autel et autres objets du culte, qui depuis dix siècles avaient dût certainement s'accumuler dans la sacristie de l'abbatiale et y composer un ensemble d'une incomparable valeur artistique et matérielle.

Le trèsor aujourd'hui, indépendamment d'un ostensoir au repoussé d'un assez bon travail, comprend quatre pièces d'ancienne orfèvrerie, dont trois sont ainsi décrites dans le compte rendu de la 29e session du congrès scientifique, tenue à Saint-Etienne en 1862 :

1° Une pixyde ou réserve pour l'Eucharistie, ayant la forme d'une boite ronde surmontée d'une croix, avec les armes d'Antoine de Sennneterre, évéque de Clermont au XVIe siècle.

2° Un reliquaire en forme d'étui, terminé par un anneau qui permettait de le porter suspendu au cou ; la partie inférieure est plate ; la partie supérieure garnie ; elles sont enrichies toutes deux, dans leur pourtour de cabochons, ainsi que le volet à double charnière orné de quinze turquoises, grenats et perles. Le reste est uni ; on lit seulement gravé en caractères du XIIIe siècle : SCA MAGARETA. Le reliquaire contient un doigt de cette sainte.

3° Un second reliquaire dont le pied découpé comme celui des calices du XVIIe siècle porte trois statuettes qui soutiennent une pyramide dont les faces sont garnies de cristal pour laisser voir à l'intérieur diverses reliques : une fiole ayant renfermé du sang de sainte Catherine ; une ceinture que La Mure dit avoir appartenu à saint Jean l'Evangéliste. Une boule surmontée d'une croix et terminée inférieurement par une vis, sert à fermer le reliquaire, dont une des faces s'ouvre de haut en bas à l'aide d'une charnïère. Sur la base de la pyramide on lit ces inscriptions en petites capitales romaines :

            Ire FACE                                   2e FACEE                                    3e FACE

FRANCOISE DE NERESTANG           Ire ABBESSE DE                      STE MARGUERITE

         BENISSON-DIEU               A DONNE CE RELIQUERE                  DE LA SCAUNE.

Un autre reliquaire de 0m30 de hauteur, est un travail en argent du XVIIe siècle. Une boite plate, arrondie à son sommet, surmontée d'une croix et nantie par côté de deux appendices en forme d'anses ciselés de têtes d'ange, est portée sur un pied en balustre dont le patin ovale est décoré sur la tranche d'une dentelle ajourée. Les ornements au repoussé qui couvrent le noeud, tout comme ceux qui sont guillochés sur la face de la boîte, appartiennent au style Louis XIII. Dix reliques, dont un fragment du bois de la vraie croix, sont disposées dans de petites cases à filigranes.

Un débat intéressant s'est élevé s'est élevé, lors de la visite du Congrès archéologique, en 1885, au sujet de l'étui reliquaire du XIIIe siècle. La sainte Marguerite dont il contient un doigt serait peut-être, a-t-on dit, la religieuse du monastère de la Seaulve du diocèse du Puy, monastère voisin d'une seigneurie de Saint-Didier, possession des Nérestang, et l'abbesse Françoise aurait entendu marquer clairement cette origine par l'inscription ciselée sur le reliquaire pyramidal construit dans le but de contenir celui du XIIIe siècle.

Mais d'abord il n'y a aucune preuve démontrant que le grand reliquaire ait eu pour mission de renfermer le petit. D'autre part l'existence au XIIIe siècle d'un culte public rendu à la sainte religieuse de la Seaulve est encore à établir. Et rien ne semble plus admissible que l'arrivée par donation pieuse au trésor de la Bénisson-Dieu d'une relique insigne, soit de sainte Marguerite, la pénitente franciscaine de Cortone, soit de sainte Marguerite, la dominicaine hongroise, dont le culte pour l'une et l'autre commence dans le XIIIe siècle.

Ce petit reliquaire étui a la forme même du doigt qu'il avait mission de contenir. C'est une particularité archéologique curieuse et fort rare. Ce n'est qu'à partir de la période romane que les boîtes à reliques reçurent parfois la forme de la partie du corps saint qu'elles devaient contenir.

 

II. - PIERRES TOMBALES

Dans un mémoire sur la découverte que nous venions de faire en 1884 à la Bénisson-Dieu, de l'enfeu et du sarcophage de la comtesse de Forez, femme de Guy III [72] , ont été exposées les causes de l'absence presque complète de monuments funéraires dans cette abbatiale, malgré le nombre considérable de fondations d'anniversaires et d'élections de sépulture mentionné par les textes.

La discipline de Cîteaux défendait l'inhumation dans les églises de l'ordre d'autres personnes que de rois, reines, archevêques ou évêques. Trois cimetières, celui des moines, celui des laïcs ou des nobles et celui des grands dignitaires ecclésiastiques, étaient statutairement établis dans chaque abbaye, et, par exception pour d'insignes bienfaiteurs, on tolérait soit la création d'enfeux sur les parois extérieures des nefs, soit l'ensevelissement à côté des abbés sous le grand cloître ou dans la salle du chapitre.

C'est au milieu de la salle capitulaire qu'avait été-inhumé, en 1210, le corps du comte Guy II, dont La Mure, au XVIIe siècle, dans une visite à la Bénisson-Dieu, trouvait intacte la « plate sépulture » et dont il publiait l'épitaphe rimée [73] .

C'est encore probablement de cette même salle que provient la belle plate-tombe d'un seigneur d'une puissante et noble maison du voisinage, Humbert de Lespinasse. Son état de conservation parfaite prouve d'abord qu'elle était placée dans un lieu abrité et non dans le cimetière des nobles ; puisque, tout en étant posée ras le sol, c'était avec une saillie suffisante pour qu'on ne put marcher dessus. Elle ne meublait donc pas la galerie du grand cloître, véritable promenoir.

On vient de la relever en 1884 du pavage de la chapelle du calvaire où elle était encastrée. Et les fouilles pratiquées à cette occasion ont fait reconnaître qu'elle ne recouvrait aucune sépulture en ce lieu de l'église, où elle fut probablement transportée lors de la démolition accomplie en 1764, suivant Courtépée, des anciens bâtiments conventuels.

Elle représente, simplement gravées suivant la mode qui prévalut dès le milieu du XIIe siècle, les effigies du chevalier de Lespinasse et de sa femme. Celle-ci sur un long surcot talaire qui cache la ceinture, porte le manteau chape sans capuchon retenu sur les épaules par une bride qui traverse la poitrine. Son voile couvre-chef encadre carrément le front faisant deviner l'arrangement des cheveux séparés en deux, nattés et conduits derrière à partir des tempes, avec de grosses proéminences sur les oreilles [74] . C'est la coiffure adoptée après 1280. Le chevalier porte le costume militaire usité du milieu du XIIIe siècle au milieu du XIVe siècle, c'est-à-dire le haubert complet mais sans la coiffe de mailles et recouvert du tabard des cavaliers laissant voir le bas de la jambe et les pieds chaussés d'éperons.

Les deux personnages sont étendus les pieds sur un chien et la tête encadrée dans un double trilobe dont deux anges thuriféraires occupent les écoinçons.

Autour du chevalier se déroule une inscription qu'il faut lire ainsi [75] :

Hic jacet Dominus Humbertus de Espinacia miles qui obiit anno Domini millesimo trecentesimo vigesimo quarto kalendis Aprilis videlicet die lune sancta ante Pasca

C'est la date du lundi saint 1er avril 1324 (1325 nouveau style). Pas d'inscription autour de l'autre. L'épouse aura survécu à son mari et n'aura pas été enterrée près de lui.

Deux autres dalles funéraires sont encore en place dans les basses nefs. L'une, datée de 1695 et placée au pied de l'autel de Saint-Bernard, recouvre la sépulture de la quatrième abbesse, dame Louise Houel de Morainville, religieuse Augustine de Honfleur promue à l'âge de 20 ans au gouvernement de la Bénisson-Dieu. Son épitaphe latine est accompagnée d'un écu circulaire à ses armes, surmonté de la couronne de marquis avec la crosse en pal. Il porte : Ecartelé : au 1er de... à trois rocs d'échiquier d..., aux 2 et 3 échiqueté... à la bordure besantée, au 4 de... à la bande de...; le tout palé de 6 pièces.

La pierre tombale de la neuvième et avant-dernière abbesse, dame de Jarente de Sénas, morte le 7 août 1789, est en avant de l'autel de Sainte-Marguerite. Elle n'est pas armoriée.

Ces deux plates-tombes sont déjà fort usées, Elles ont une valeur tout au moins historique, et à ce titre mériteraient d'être relevées et transportées dans la chapelle-musée, près de celle du XIVe siècle. On les remplacerait sur les deux sépultures par des dalles de même dimension.

Avant de clore cette pâle et insuffisante monographie, peut-être eût-il été intéressant d'y joindre la mention de quelques objets d'art, tels que landiers, tableaux... disséminés dans les collections particulières ou publiques et qui proviennet des bâtiments conventuels vendus à la Révolution ? Mais ce serait sortir des limites que nous nous sommes imposées.

On trouvera d'ailleurs toutes les indications désirables dans les catalogues de musées, le Bulletin de la Diana et l'Histoire de la Bénisson-Dieu, par M. l'abbé Baché.

Edouard Jeannez

 

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Façade

 

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Dieu le Père. Fragment d’une Trinité

Statue en pierre. Fin du XV' Siècle.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Stalle abbatiale mobile.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Intérieur.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Clôture de la chapelle de Nérestang.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Chapelle de Nérestang.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Autel de Sainte-Marguerite.

XVe siècle.

 

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Crucifiction – Bois sculpté -XVe siècle.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Pierre tombale d’Humbert de Lespinasse.

Mort le 1er Avril 1324.

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

EGLISE DE LA BENISSON-DIEU

Pixyde er Reliquaires. VIIe, XVIe et XVIIe siècle.

Carreau en terre émaillée provenant de la Bénisson-Dieu.



[1] Bibliotheca Cluniacensis, col. 1, 2, 3, 4 : Testamentum Wuillelmi cognomento Pii, Arvernorum comitis et ducis Aquitanorum, de cunstructione Cluniacensis loci.

 

[2] Henri Martin, Hist. de France, t. V, p. 563. Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XIV, p. 36.

 

[3] Bibliotheca Cluniacensis. Voir, dans les additamenta, col. 1820, et les Notes d'André Duchesne. Quercetani, col. 73, ce qui concerne les travaux exécutés à Charlieu et à Ambierle par saint Odilon, dans la première moitié du XIe siècle.

 

[4] C'est en se fondant sur cette légende que plusieurs auteurs, notamment Aug. Bernard et l'éditeur de La Mure, ont adopté, pour le nom du monastère, la leçon Bénissons-Dieu, qu'ils out fait venir du Benedicamus Domino, attribué à saint Bernard.

C'est une faute. Ce n'est pas la forme latine benedicamus, mais celle de benedictio, qui a déterminé le vieux français beneïçun lequel signifiait bénédiction :

     Li arcevesques ne poet muer n'en plurt,                        L'archevêque ne peut se tenir d'en pleurer;

     Levet sa main, fait sa beneïçun.                                               Il élève la main, il leur donne sa bénédiction. Chanson de Roland, 188e couplet, v. 2194-95. (Traduction Léon Gautier.). On sait que ce poème de la Geste de Roland fut écrit â la fin du XIe siècle.

De Beneïçun, on a fait successivement d'abord Beneiçon, puis Béneisson au XVIe siècle, et enfin Bénisson. Bénisson-Dieu est pour la Bénéisson-Dieu (Benedictio Dei). Il ne faut pas d's, mais l'article est nécessaire.

 

[5] L’ Abbaye de la Bénisson-Dieu, par l'abbé J. B., Lyon, 1880.

 

[6] Saint Bernard, Lettre CLXXIIIe.

 

[7] Pour ces donations, consulter : Chaverondier, Inventaire des titres du comté de Forez, Appendice, p. 586, 587 ; - La Mure, Hist, des comtes de Forez, t. III, p. 37, 39; - La Mure, Hist. ecclésiastique. p. 316, 317, 318 ; - Inscription dans la chapelle de Nerestang; - Aug,. Bernard, Hist du Forez, t. I, p. 186.

 

[8] Pour les granges, consulter : Institutiones capitul, gen., Distinct., XIV, cap. XII, et Distinct., I. cap. XIV - D. D. Martène, Thesaurus anecd., t. IV, 1267; - Chaillou du Barres, Notice sur l'abbaye de Pontigny.

 

[9] A. Lenoir, Arch. monastique, t. II, p. 357.

 

[10] Par lettre confirmative des biens de la Bénisson-Dieu, donnée par le pape Innocent III en l'année 1213, on pense qu'à cette date, en outre de douze granges considérables, l'abbaye possédait les cinq celliers de Villerêt, Poent, Montbrison, Quincey et Semur, avec leurs vignes, prés, terres, bois et dépendances. Le nombre de ces établissements s'augmenta dans le cours du XIIIe siècle. Une vente, passée en 1284 par Durand de Saint-Haon, Damoiseau mentionne une grange des moines blancs proche Reneyson.

 

[11] D. Martène, Thesaurus anecd., IV, Regul. conversorum Cist.

 

[12] La Mure, Hist. des comtes de Forez, t. III, p. 38, n° 40. Charte confirmalive de Guy III.

 

[13] A. Chaverondier, Inventaire des titres du comté de Forez, Appendice, p. 536 : Littera fundationis grangiae (De Rivis)… 24 nov. 1160.

 

[14] A. Chaverondier, ibidem, p. 586, 587, 589.

 

[15] La Bénisson-Dieu paraît avoir suivi à la lettre les préceptes rigoureux de la Charte de charité, Carta caritatis, le premier règlement en cinq chapitres de l'ordre de Cîteaux confirmé on 1119 par In pape Calixte II, qui interdit aux monastères la possession des églises, des villages, des serfs, des fours et des moulins banaux. Les abbayes cisterciennes pourront se libérer du droit de dîme, mais jamais elles ne se feront payer la dîme du travail d'autrui ; elles auront des terres arables, des vignes, des prés, des bois, des cours d'eau pour la pêche et pour y établir des moulins qui seront à leur usage seulement... Les instituts du Chapitre général promulgués en 1134 et 1140, renouvellent ces décisions et ajoutent les rentes fonciéres ou cens à la liste des biens dont la propriété est défendue. Le Monasticon Cisterciense, ch. IX, p. 248, s'exprime ainsi : «  Devant vivre du travail de leurs mains, et principalement du travail agricole, les moines ne doivent posséder que les biens sans lesquels ce travail serait impossible. » (D'Arbois de Jubainville, Etudes sur l'intérieur des abbayes cisterciennes). Les titres compulsés par M. l'abbé Baché ne mentionnent qu'un achat à titre onéreux, comprenant échange pour partie, fait par la Bénisson-Dieu, durant le premier siècle de son existence. C'est celui de la terre de Chatuy, au voisinage de la grange de Rioux, qui appartenait à Aymard de Vernoille et Aymond de Chatuy. Les autres acquisitions, signalées dans la même charte confirmative de Guy lI, concernent des rachats de dîmes dont nos religieux pouvaient se libérer sans enfreindre la régle. La Mure, Hist. des comtes de Forez, p. 37, charte 39.

 

[16] La Mure, Hist. des comtes de Forez, t. I, p. 168, note.

 

[17] Mure, ibid.. t. I, p. 173.

 

[18] Violet-le-Duc, Dict.d'architecture.

 

[19] L. Monery, les Vues roannaises d'E. Martellange (Roannais Illustré, 2e série, p. 145). Ces trois vues nous montrent le monastère tel qu'il était depuis la fin du XVe siècle, après les travaux et remaniements opérés par le prieur de La Fin, après la suppression des fortifications et des dépendances agricoles. Elles font partie d'un recueil conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, et orné, au XVIIIe siècle, par un collectionneur ignorant d'un titre qui les attribue au crayon du peintre François Stella. La fausseté de cette attribution, rééditée par l'abbé Baché dans son Histoire de la Bénisson-Dieu, et par A. Lenoir, dont le Traité d'architecture monastique donne la reproduction de deux de ces vues, a été péremptoirement démontrée par M. Henry Bouchot, archiviste, qui a rendu à Etienne Martellange la paternité de ses dessins.

 

[20] Ed. Jeannez, Tombeau d'Alice de Suilly, comtesse de Forez, 1887.

 

[21] A. Lenoir, Arch. monastique, t. II, p. 311, 329, 359.

 

[22] C'est sous Philippe le Hardi que commence la décadence des grands ordres religieux, qui passent de l'état purement monastique à celui de propriétaires féodaux, grâce â leurs possessions foncières considérables.

 

[23] Les hourdages antérieurs au XIIIe siècle sont tout en bois et ordinairement indépendants du comble. Ceux de la Bénisson-Dieu ont leurs parapets hourdés en maçonnerie dans des croix de Saint-André, et font partie du comble par leurs potelets verticaux. C'est le système du hourd â demeure, sorte de mâchicoulis continu, qu'on retrouve dans toutes nos places ou châteaux forts du Roannais, jusqu'au XVe siècle, comme en témoignent les vues des villes et châteaux de Crouzet, Reneyson, Sainctan (Saint-Haon-le-Châtel), Saint­-Just-en-Chevalet, Saint-Germain-Laval, et du petit donjon du bourg de Roanne,.., vues faisant partie d'un album de copies, exécutées d'après G. Revel, pour M. de Gaignières, au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. - A Saint-Haon apparaissent quelques-uns de ces mâchicoulis de pierre, dont l'usage avait commencé avec le XIVe siècle.

 

[24] C'est l'itinéraire donné par Valbonnais et que suivirent, en 1345, les députés envoyés de Marseille à Paris par Humbert II, dauphin de Viennois. Pour le grand chemain tendant de Lyon â Charlieu par Saint-Clément-de-Valsonne, et de Charlieu à Marcigny-les-Nonnains par Pierre-Folle, paroisse d'Iguerande, consulter Vincent Durand, Recherches sur la station de Mediolanum (Mémoires de la Diana. t. I, p. 38).

[25] Bibliothe. Clun., col. 754 A. « Les courriers venant d'Angleterre ont coutume de venir à Marcigny, d'aller à Lyon, puis de pénétrer ainsi en Provence, en évitant Cluny..... Solent Marciniacum venire, Lugdunum adire, Provinciam penetrare..... » Cette voie, la plus courte, avait conservé la préférence jusqu'au siècle dernier.

 

[26] Livre I des Miracles par Pierre le Vénérable (Biblioth. Clun., col. 1282, A).

 

[27] Sainte Fradeline, alias Fredoline, Ferréoline, morte en 1138. Elle avait été prieure.

[28] Menelog. Bened., 10 mai

 

[29] Quelques rares exceptions â cette disposition ont été signalées par M. de Montalembert dans le Bulletin monumental, vol. XVII.

 

[30] Ce n'est qu'au XIIIe siècle que l'abbé de Clairvaux put obtenir du chapitre général l'autorisation de suspendre un cierge devant les reliques de saint Bernard (D. Martène, Thesaurus novus anecdoferum, t. IV, col. 1245). - Lettre à M. Montalembert sur les reliques de saint Bernard (Migne, t. CLXXXV).

 

[31] Pour toutes ces prescriptions rigoureuses de la règle de Cîteaux, consulter: Statuta selecta capitulorum generalium ord. Cisterc. ap. D. Martène, Thesaurus.... t. IV, c. 1213 â 1646.

 

[32] Le plan qui accompagne l'ouvrage de M. l'abbé B. a été dressé par M. Donjon, instituteur â la Bénisson-Dieu avant la disparition des anciennes substructions. Il reproduit exactement ces dispositions du chevet.

[33] L'église neuve de Noailly, prés de la Bénisson-Dieu, présente ce genre de voûtage. Les voûtes d'arête barlongues, construites il y a moins de vingt ans, sont cassées; leur chute est certaine dans un délai rapproché et aucun chaînage ne pourra prévenir cet événement. Il faudra les refaire complètement.

 

[34] Les clefs des arcs ogives sont à 0m90 au-dessus de celles des doubleaux.

 

[35] Parmi les débris de pierres taillées composant le musée lapidaire récemment créé dans l'église, figure une courte colonnette de l'époque ogivale à six pans, à base étroite et portant, en guise de chapiteau, une petite cuvette percée, dans le fond, d'un orifice pour faire écouler le liquide qui y était versé. Ne serait-ce pas là la véritable piscine qui desservait l'autel de P. de la Fin, et aurait été enlevée lorsque, le service paroissial se concentrant dans la grande nef, la chapelle fut à peu prés abandonnée?

Dans cette hypothèse la niche avec cuve creusée dans le mur ne pouvait être qu'un baptistère, car la d'armoire aux saintes huiles est trop problématique.

 

[36] Un seul fait donnera la mesure des imprudences commises. Lors des récents travaux de 1885-86, on a enlevé la quantité de 363 mètres cubes de gravois dont on avait chargé, au XVIIe siècle, les voûtes de la basse nef méridionale pour former le terre-plein du passage-tribune.

 

[37] Bulletin de la Diana, t. 11, p. 70; - t. 111, p. 93.

 

[38] Depuis la rédaction de cette étude, ces diverses réparations ont reçu un commencement d'exécution. Le 27 octobre 1888, a été donnée par M. l'inspecteur général des beaux-arts l'adjudication des travaux de la flèche et du choeur.

 

[39] Apologia de vita et moribus religiosorum, ad Guilielminum abbatem sancti Theodorici. Saneti Bernardi.

Claravallensis ahbatis primi, melliflui doctoris, opera, t. IV, Lugd., 1679.

 

[40] Domine dilexi decorem domus tuoe et locum habitationis gloriae tua.. (Psal. 35.)

 

[41] D. Martène et Durand, Thesaurus nov. anecd., t. V, col. 1571.

 

[42] Spon. Recherches curieuses d'antiquités.

 

[43] Voir partie II, ch.II de ce mémoire.

 

[44] L'église paroissiale de Saint-Haon-le-Châtel possède encore un de ces arcs à crucifix, qui est d'un assez bon travail. Deux édifices de notre région : l'abbatiale romane de Saint-Rigaud, complètement démolie après la Révolution, et l'église saint Philibert de Charlieu, présentaient encore, au milieu du XVIIIe siècle, les très curieux et rares spécimens, l'une de la trabes antique, l'autre du jubé primitif du XIVe siècle. C'est ce que nous apprend le procès-verbal manuscrit d'une visite pastorale faite, en juillet 1746, par Henry-Constance de Lort de Serignan de Valras, évêque de Mâcon, dans les paroisses de l'archiprêtré de Charlieu.

Au paragraphe de la définition de l'abbatiale de Saint-Rigaud, dans la paroisse de Ligny, se lisent ces mots : « Le chœur est fermé en devant par une balustrade faite depuis peu, qui ne convient pas. Au dessus est une pièce :traviersière cintrée qui appuye sur les deux piliers et qui porte un grand crucifix. ». Plus intéressants encore sont les détails fournis par le procès-verbal de la visite à l'église paroissiale de Saint-Philibert de Charlieu : « Au bas du choeur est une tribune en pierre en forme de jubé, qui porte sur une arcade voûtée qui est trop basse, trop étroite, qu'il conviendroit de supprimer; au-dessus de laquelle est l'autel de Saint-Jean-Baptiste et un grand crucifix au dessus. Lad. tribune est environnée d'une balustrade antique de pierre. Au-dessus de lad. tribune est un grillage en fer qui ferme à clef. Il conviendroit de l'otter et d'y mettre en place la table de communion. « 

Cette description nous semble constituer un document du plus haut intérêt au point de vue archéologique et liturgique; nous y reviendrons prochainement. Ce qui en résulte en tout cas clairement, c'est que cette curieuse tribune de pierre, avec sa petite et basse arcade voûtée et sa balustrade antique, était une clôture datant probablement du XIVe siècle, et dont l'aspect, ainsi que les dispositions, devaient avoir de grandes analogies avec le saisissant jubé toujours debout dans l'église de la Chaise-Dieu.

 

 

[45] Parallèle de l'architecture antique et de la moderne, avec un recueil des dix principaux auteurs qui ont écrit des cinq ordres, par Errard et de Chambray. Ces dix auteurs sont huit Italiens : André Palladio, Seb.Serlio D..Barbaro, P. Cataneo, L.-B. Alberti, Viola, V. Scammozi, Viânole; et deux Français : Jean Bullant, l'architecte d'Ecouen, et notre maître lyonnais, Philibert Delorme.

 

[46] Voyage littéraire de deux Bénédictins..., I- partie.

 

[47] L'un de ces panneaux, appartient au musée de Roanne. Les deux autres faisaient partie de la collection statuaire Lescornel, qui. durant environ trente années, fut professeur de dessin au collège de Roanne. On ignore ce qu'ils sont devenus, mais on en possède les photographies exécutées par M. S. Geoffray.

 

[48] Voir notamment los draperies sculptées de la belle chambre d'Abraham, au château de Sury-le-Comtal.

 

[49] Voy. récit du sacre de l'empereur Baudoin, dans la Chronique de Villehardouin.

 

[50]   « Ces aumonières étaient des sacs ou bourses, que l'on portait extérieurement, pendues â une cordelière. L'argent, les papiers, le livre d'heures, les gants avaient leur place dans l'aumonière. Elles étaient presque toujours richement brodées et marquées aux armoiries: aussi l'on remarque, parmi les maîtresses de faiseuses d'aumônières, Marguerite, la blazonière. » (La Broderie, de E. Lefébure, p. 82.) - V. Victor Gay. Glossaire passim.

 

[51] Histoire du costume, par Quieherat.

 

[52] Mélanges d'art et d'archéologie, par Léon Palustre, 1889.

 

[53] Bulletin de la Diana, tome IV, n- 2. - Voir le Roannais Illustré, IIIe série, page 109.

 

[54] Didron, Iconographie chrétienne, introd. p. 1.

 

[55] Si l'absence du voile est rare dans l'iconographie de la Sainte vierge au moyen âge, la coiffure de cheveux nattés l'est encore bien davantage. Les nattes tombantes avaient été abandonnées au XIIIe siècle par les filles et les vierges qui laissaient pendre leurs cheveux sur le dos comme une crinière, signe de virginité qui a repris et exclusivement observé au XVe siécle par l'imagerie de la vierge Marie. Mais dans l'intervalle, après 1280 et jusqu'à la fin du XIVe siècle, les nattes avaient reparu dans la coiffure des dames nobles.

 

[56] Abbé Martigny, Dict. des Ant. chrét., p. 192.

 

[57] Voici le texte de saint Ambroise: « Stabat ante crucem mater, et fugienlibus viris stabat intrepida. » - La Mère se tenait debout au pied de la croix et demeurait intrépide pendant que les hommes fuyaient.

Un catalogue ancien des richesses d'art de la Bénisson-Dieu ne se fut pas autrement exprimé.

 

[58] Les rayons et les langues de feu se rencontrent quelquefois dans la deuxième moitié du XVe siècle. On les trouve à Ambierle sur le retable.

 

[59] On trouve dès le XIIe siècle et jusqu'à nos jours pour ainsi dire, la statuaire concourant â la décoration des pignons des façades à la place des imbrications, damiers et autres combinaisons d'appareils de l'époque romane. Le portail de l'église de St-André-d'Apchon, construction du XVIe, présentait, avant sa destruction, vers 1863, cette disposition d'une statue de Notre-Dame posée en saillie extérieure et abritée par un dais polygonal.

 

[60] Cette reconstruction fut sans doute contemporaine de l'installation au XVIIe siècle de la croupe de la toiture qui déshonore la façade, et ne figurait pas dans le plan primitif du grand comble comme le prouve sa charpente.

 

[61] Victor Gay, Glossaire…, p. 696

 

[62] Du Cange, Glossarium…, V au mot Majestas. - Guill. Durand, Rational..., liv. IV, chap XXV, n° XI.

 

[63] Didron, Iconog. ch., p. 496

 

[64] Voir le Roannais Illustré, IIIe série, p. l40.

 

[65] Nous devons â l'inépuisable obligeance de notre savant cousin et ami: M.A. Chaverondier,  de pouvoir reproduire un court extrait de ce manuscrit : Procès- verbal de visite du diocèse de Lyon 1469. Arch. Fonds latin ancien no .5529.

F° 122. - Apud Greysolles. Religetur Missale et fiatt in eo Majestas et reparetur in loris caducis. Religetur quoddam parvum Missale quod habent et fiat in eo Majestas.

F° 128. - Apud sanctum Johanem Lavestre. Fiat Majestas novo in novo canone Missalis

F° 135. - Apud Chandiacum. Habeant unun Missale novum…et Fiat in eo Majestas nova.

 

 

[66] Cette statue de Montaiguet existe encore et dans un bon état de conservation, car elle avait été murée pendant la Révolution. Suivant un de nos collégues de la Diana, M. Monery, qui l'a vue il y a peu de jours, ce serait une représentation de Dieu le Père, dont la main droite, beaucoup plus élevée que l'autre, tenait le globe symbolique disparu depuis quelques années seulement. Le fauteuil est â haut dossier. Le style manque de distinction. Le travail est grossier. I1 n'y aurait aucune parenté artistique entre cette statue et celle de la Bénisson-Dieu.

[67] Extrait du testament de Jean-Claude de Nérestang: «J'ordonne que l'on y porte (dans la chapelle) l'effigie en marbre de Notre Dame que j'ai fait faire â Gênes, au piédestal de laquelle sont nos armes et devise en bronze doré, et qui est en ce moment â la douane de Lyon ».

 

[68] Par le terme générique de pavages émaillés, nous n'entendons parler ici bien entendu que des anciens vernis plombifères translucides, et non de l'émail blanc stannifère, ni des couleurs vitrifiables qui n'apparaissent qu'au XVe siècle.

 

[69] Ap. D. Martenne, Anecd... IV, 1362.

 

[70] L'Encyclopédie d'architecture a publié, d'après un dessin de M. Millet, une planche en couleur de toiture polychrome, tout â fait inexacte.

 

[71] Rapport de M. le curé Dard au Congrès scientifique de 1862

 

[72] Jeannez. le tombeau d'Alice de Suilly... -Montbrison 1887.

 

[73] La Mure, Hist, des ducs de Bourbon, livre II, chap. XI.

 

[74] Hist. du Costume, par Quicherat, passim.

 

[75] MM. Coste et Guillien ont donné de cette inscription une lecture complétement inexacte.

 

Abbaye de La Bénisson-Dieu par Dominique Belling